Poète de la "négritude" aux côtés d'Aimé Césaire et de Léopold Sédar Senghor, Léon Gontran Damas dévoile une parole de combat, libre et parfois tendre aussi dans ce recueil de poèmes qui puise son énergie dans la succession des exils, "intérieur" et géographique", nous dit la notice de Sandrine Poujols. Des chants révoltés, une parole qui devient incantatoire au fil des vers, des idées, des coups portés "à sa qualité de nègre". Une poésie de lutte et de plaintes au goût de whisky, complaintes éthyliques mêlées de désespoir, ruisselant sur le zinc d'un bar, refrains déchirants d'une humanité perdue. Lui le Guyanais, frère africain qui embrasse la condition de déclassé en s'adressant à ses aînés, par leur voix démultipliées. Cri du coeur blessé, cri de l'intérieur, hymne des répudiés, Black-Label déverse ses gouttes de souffrance sur un monde parfois aveugle à la dignité de l'être.
On aime beaucoup la fureur déployée ici, qui nourrit le refus d'accepter, qui rend plus lucide, au son d'une rythmique sans temps mort. La poésie de Léon Gontran Damas est une musique, presque du rap par moment. La plainte se mue en rêverie dans des chants de résistance. Cette parole directe dit la souffrance et la clairvoyance, revendique sa "négritude", dit aussi la colère et les désirs, ardents bien sûr, les errances et la fureur, les blessures et les rêves, le désenchantement profond. Au fond, tout bon poème est d'abord une question de mouvement et d'élan, de foi qu'on place dans ses paroles. "Une pulsion de sang noir" ? "Un goût de sang fauve" ? dit la présentation de l'éditeur. Oui, ces poèmes qui voient rouge font vibrer un truc, une rage tapie, une envie d'en découdre avec le monde et ses manques. Mais ce qui touche le plus, c'est cette âme mise à nue, à l'intimité écorchée, ces frustrations sublimées par une écriture lucide et rageuse, qui "frappe comme une mitrailleuse". Les balles tirées épousent néanmoins les courbes de la tendresse, dans Graffiti (1952), poèmes d'amour et de drame.
Et sus au dévoyé / mort au cancre / au pou / mort au chancre / au fou BLACK-LABEL À BOIRE / pour ne pas changer / Black-Label à boire / à quoi bon changer
Engagés, oeuvrant à la dignité de l'être et du coeur, n'éludant pas le malaise, les poèmes de Damas crient et chantent avant tout des envies de libération dans un théâtre d'ombres, des fuites et des failles. Avec en fond un rire désespéré. La puissance d'une parole libre et insoumise, donc. Des poèmes à lire à voix haute, le poing levé, bras dessus bras dessous avec nos frères humains. Rythmée, métissée, déclamée, cette poésie, la musique et la furie. Une voix forte qui redonne une voix à ceux qu'on n'entend pas. La force d'une scansion, du gros son, au rythme brisé d'obsessions. Douleurs et douceur d'écorché. Des notes de blues, un peu d'amour noir. Une poésie brute et belle.
Black-Label et autres poèmes, Léon Gontran Damas, Poésie/Gallimard, 155 p., 6,80€
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