Bienvenue chez les mineurs, en
Gohelle, en plein pays noir, avec la nouvelle rasade d’Hénin Liétard. Marcher sur les bas-côtés ? Hénin, t’es
sérieux là ? Car à ce niveau, c’est plutôt la descente dans l’enfer six
pieds sous terre, dans les entrailles de la misère, non ? Tenez :
chômage, picole, maladie, prison, larcins…
C’est l’histoire de Johnny et des Rocky, des mères-filles, des tricards du pays noir, des
mineurs de fond de la mine sans fond. Et des autres, tous embourbés dans les
résidus de houille, images d’une misère de la prospérité industrielle…
Cet abruti de patron d’estaminet se pointe avec son coéquipier : un fusil à pompe à gueule de tromblon. On se bouscule au portillon, en bon postillons, on gicle hors. « On s’en souviendra d’avoir chimé à Chimay ! », s’esclaffe Bintje.
Une enfilade de tranches de vie
poisseuses, sordides, mais furieusement drôles. On suit donc les pas de
Johnny, fils et petit-fils de mineurs silicosés, envoyé au sana. Ensuite, une
vie coincée entre l’ennui et le mal-être. La sédentarité comme horizon d’une
vie qui n’en a pas. Oui, il ne faudrait pas cesser de pleurer quand on voit le
tableau, plus vrai que nature. C’est la Vie de Jésus et le P’tit Quinquin, mais
c’est l’Humanité aussi (Bruno Dumont, sors de ce livre !), la beauté
foireuse des petites gens, un hymne à la lose
et aux égarés, à la fraternité gouailleuse, aux victimes de la pluie et du
froid. Le pays noir quoi. Pas d’intrigue ici, juste des instantanés distillés
par les litres de houblons sirotés. Il faut renifler l’ambiance de ce coin
sinistré de France, au fil de carnavals et de ducasses arrosées à la
Jenlain, d’arrangements et de petites combines de postier. C’est gras comme des
remugles de frites, glauque comme une tournante dans un bois.
Nos pères, nés de régions, de pays divers, extraient la houille dans les mêmes veines de charbon, nous on est nés dans le même quartier ; le même coron coule dans nos veines. Alors…
Et pourtant, on le redit, il faut
marcher sur les bas-côtés avec Hénin Liétard, pilier de comptoir et griot des
corons. Une question de langue, guidée par un vrai appétit pour les truculences
du parler Ch’ti. Car le jargon est bourru, le rythme picaresque et la valse du
Ch’nord pleine d’une gouaille sans illusion. L’oralité fêtarde, il ne reste
plus que ça quand tout est sinistré. La faconde baroque aussi, qui désamorce toute tentative de
misérabilisme par l’humour « harakiresque ». Une écriture d’une
ferveur crue, d’une humanité pétillante, image de la chaleur du Nord qu’exhalent le cambouis des
moteurs, le vomis de waterzoi, la fricadelle-frites-mayo de Bollaërt ou
Grimonprez. Derrière toute cette misère, c’est la tendresse du désespoir qui
affleure. Plutôt que sombrer, on sort donc par le haut de la mine, du
chevalement devrait-on dire, prêts à quitter les cônes de terrils et
chevaucher les voies ferrées délaissées pour, finalement, s’écraser dans une
impasse. Normal. Pas de jardins ouvriers mais des bars où l’on tise autour
d’une bière trappée dans la lose.
Hénin Liétard, c’est l’aède de la mine qui tente de conjurer la dèche par la
beauté des mots assemblés, chantés, avec un festival de bons mots à chaque
page. Conférant la plus belle des âmes aux oubliés de l'Histoire.
Alors oui, il y a des gueules de bois et les relents
amers d’une vie pourrie. Mais beaucoup de tendresse aussi. On ferait pas tableau plus véridique. Plus drôle,
plus authentique. Alors, on
oublie Danny et on prend Hénin car Marcher sur les bas-côtés, c’est le livre des sans-grades et des paumés, d’une humanité foudroyante. Le bon coup de grisou en pleine face
quoi !
Marcher sur les bas-côtés, Hénin Liétard, Le Dilettante, janvier 2019, 256 p., 18 €
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