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Le train pour Tallinn, Arno Saar (La fosse aux ours) ★★★☆☆

    Petit polar venu du froid, Le train pour Tallinn a comblé nos attentes de lecteur estival. Ambiance post-Guerre Froide avec, pour personnage central, un flic narcoleptique hanté par le souvenir de son père, Marko Kurismaa. Un Russe bedonnant, la soixantaine, vient d'être assassiné dans un train assurant la liaison Saint-Pétersbourg-Tallinn, après avoir avalé l'alcool local. Overdose, suicide, négligence, assassinat ? L'inspecteur veille au grain avec les moyens du bord... C'est-à-dire presque rien.


    Je n'attendais pas grand chose de ce bouquin qui avait la saveur de mondes inexplorés. Mais avec cet éditeur, disons-le, nous n'avons jamais été déçus. Allez savoir pourquoi, j'ai toujours eu l'impression de me retrouver en Finlande. Peut-être à cause du froid, du ski de fond (le flic se rend au boulot à skis !) ou des noms et leur sonorité. Surtout en raison, je crois, de notre ignorance totale de ce pays. Qui peut me citer là, tout de suite, un célèbre Estonien ? Comme l'envie de se raccrocher à quelque chose de connu. En fait, on était bien en Estonie, toujours en Europe donc, dans une atmosphère plutôt familière : celle des espions, des néo-riches de l'après Guerre froide qui profitent d'une transition économico-politique sauvage pour engraisser au plus vite la bête. Poisseux par moment, le livre évoque la pédophilie, le porno glauque, la misère et la corruption, se fait plus intimiste à d'autres, fouillant dans le passé du policier - fils d'un célèbre dissident - ou ses amours interdits - il est en couple clandestin avec une flic d'un autre service. Côté suspense, on ne sait jamais vraiment où l'on pose les pieds, jusqu'au surprenant final, ni flamboyant ni tiré par les cheveux mais bien dans le ton de ce récit sympathique. Et puis il y a ce pays mystérieux drapé dans une fine neige, les vieilles inimitiés de la charmante époque soviétique, le tout arrosé d'alcools en tous genres, entre vodka et Unicum. Le mélange fonctionne à plein, à coups de petites pensées métaphysiques et de répliques bien senties.
Un Russe mort, c'est toujours une bonne nouvelle. Ne plaisante pas. Un Russe mort, c'est un bordel diplomatique pas possible. Surtout en ce moment.

     Le classicisme de l'intrigue n'empêche en rien les surprises et rebondissements pour cette enquête qui oscille, comme toute enquête, "entre l'espoir d'un coup de chance et le patient recueil d'éléments sans importance". Alors oui, on fouille dans le passé, les souvenirs remontent ainsi que les douleurs d'antan liées à l'autoritarisme arrogant d'une utopie. Du classique on vous dit. On aurait voulu aller un peu plus loin avec les personnages, dans leur psyché ou personnalité. Kurismaa est attachant même si l'impression de ne le connaître qu'en surface persiste, à l'image des autres personnages. Mais on aime cette atmosphère pleine de mystère, parfois envoûtante, où la ville de Tallinn s'impose comme un parfum vénéneux nourri d'une neige lumineuse ("C'est une magie transitoire, éphémère comme une aurore boréale, mais qui offre au conducteur des instants de grâce").
   Plaisant polar à lire au coin du feu donc, un verre à la main, en repensant au bon vieux KGB...
                                                                                                                                    
Le train pour Tallinn, Arno Saar, La Fosse aux ours, mars 2019, 218 p., 18€.

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