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La Nuit ne dure pas, Jules Gassot (Rivages) ★☆☆☆☆

       Quadra divorcé, Paul Broca se lamente, prend le car en direction de Méribel avec d'impolis Hollandais, se moque de ses contemporains, dîne avec sa belle-famille. Se lamente, prend place sur un télésiège débrayable à six places, ne voit que des nuages troubles, des amas laiteux. Il regarde les autres manger du pop-corn à la spiruline et ne croit plus en rien.




     Bienvenue dans l'enfer du quotidien. Chaque phrase écrite ici résonne des textes de Cioran. La Nuit ne dure pas en est donc le titre. Mais Sur les cimes du désespoir aurait convenu aussi. Chamfort et ses maximes ne sont pas loin non plus. Voilà pour les références. Mais ce livre est agaçant et vite oublié. En gros, faut-il croire à cette litanie dépressive, bien trop noire ou floue pour être réelle ?
Je bois pour immerger les trous noirs. Je bois pour m'oublier. Je bois pour rendre le monde flou. Les prostituées et les contractuelles ne font qu'un dans un monde flou. Les hommes ne se bercent pas d'illusions dans un monde flou. La nuit invite la douleur à dîner dans un monde flou. Les tacots refusent les désodorisants en forme de sapin dans un monde flou. La folie n'a pas de contours dans un monde flou.
 

     Jules Gassot, à travers son narrateur, propose une vision du monde d'un cynisme rare. Le gars — le narrateur hein — a quarante balais mais aime provoquer comme un gamin de trois ans. Livrant à l'envi de la petite blague, de l'aphorisme profond, du sarcasme habité, façon humour à froid. Beaucoup de punchline mais seule une sur vingt fait mouche. Recherche de la chute et du bon mot à chaque page ("Pour la remercier de cette attention délicate, je saisis ce moment pour lui offrir ses cadeaux de Noël, dont elle détruit les emballages avec la précision du NKVD dans une forêt polonaise"), goût pour la moquerie facile, les pages ressassent le même message et tout cela finit par être lugubre. On s'ennuie car il ne se passe rien. Et dans ces cas-là, c'est le "style" et l"écriture" qui doivent prendre le relais. Soyons honnêtes, c'est plutôt bien écrit si l'on met de côté tout ce qui nous agace. Mais pour dire quoi ? La vanité de l'existence, notre irréductible solitude, la connerie et la médiocrité de nos contemporains, l'illusion des relations sociales, blablablabla... Le narrateur est-il pessimiste ? lucide ? Philosophe sceptique ? Poseur du désespoir plutôt, un narrateur qui finalement se complaît dans sa propre médiocrité. Voilà, on attend autre chose de la littérature. Au-delà du ton et de l'ambition, c'est un livre dont la mécanique linéaire, systématique et facile ennuie profondément. On cherche encore la tendresse, l'empathie, etc... pour neutraliser un peu toute cette noirceur routinière. Peut-être existent-elles mais alors on n'a pas su lire entre les lignes. Soyons honnêtes jusqu'au bout, dans le lot de toutes ces images, saillies et métaphores, deux ou trois passages nous ont bien fait rire par leur sens aigu du réalisme. Mais alors quel gâchis. Deux pages sur 185, c'est trop peu. Dommage. Frustrant. Triste désenchantement. Triste spectacle de la comédie humaine.
Décidément, l'homme descend du con, mais ne désespère pas de s'accoupler avec les étoiles.

     OK, la société est absurde, les gens sont cons et médiocres, les bobos sont ridicules, la vie ne vaut pas d'être vécue ainsi, nos mamans et belles-familles sont relous et envahissantes, blablabla... La seule réponse serait de picorer un morceau de comté quand le sapin bon marché n'a jamais fait rêver personne ? Dispensable.
                                                                                                                                 
La Nuit ne dure pas, Jules Gassot, avril 2019, Rivages, 185 p., 17,80€

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