Le Printemps du guerrier de
Beppe Fenoglio – Collection Letteratura. Editions Cambourakis – février 2014 (roman
traduit de l’italien par Monique Baccelli. 224 pp. 10 euros.)
Pierre
Charrel
Aussi courte que pleine : telle
fut la vie de Beppe Fenoglio. Né en 1922, l’année de la Marche sur Rome, cet
écrivain italien – piémontais, plus précisément – passa à peine la quarantaine,
emporté par un cancer en 1963. Durant ces quelques décennies d’existence,
Fenoglio fut à la fois témoin et acteur de certains des épisodes cruciaux du Novecento italien : le fascisme, à
l’ombre duquel il passa sa jeunesse ; la Seconde Guerre mondiale à
laquelle il prit part d’abord comme soldat de l’armée royale, puis comme
partisan au sein de la Résistance anti fasciste après le renversement de
Mussolini. Autant d’expériences qui nourrirent l’œuvre littéraire entreprise
par Fenoglio une fois la paix revenue. Publié en 1952, le recueil de nouvelles Les
Vingt-trois Jours de la ville d'Albe (éditions Gérard Lebovici) lui vaudra la reconnaissance d’Italo Calvino
et de Natalia Ginzburg, figures majeures des lettres italiennes d’après-guerre.
Suivront en 1954 Le Mauvais Sort et,
en 1959, Le Printemps du guerrier,
deux romans actuellement disponibles chez Cambourakis. Le reste de ses livres
paraîtra à titre posthume. Parmi ceux-ci, on signalera notamment Une
affaire personnelle (Gallimard),
splendidement porté à l’écran en 2017 par les frères Taviani sous le titre Una Questione privata.
À
l’instar de ce dernier, Le Printemps du guerrier s’inspire des
années de guerre de Beppe Fenoglio. Le roman a pour protagoniste un jeune
Piémontais se faisant appeler Johnny ; une manière pour lui de témoigner
de son amour de la langue anglaise qu’il a étudié, mais aussi de témoigner de
sa défiance à l’encontre du nationalisme mussolinien. Alors que débute l’année
1943, Johnny doit intégrer un bataillon d’élèves officiers, stationné dans un
bourg entre Turin et Gênes. Le métier des armes qu’il y découvre est rien moins
qu’exaltant. La vie militaire décrite avec soin par Fenoglio oscille en effet
entre mesquinerie du commandement, inconfort sordide du quotidien et absurdité
dangereuse des exercices. Tel celui du « saut de la mort » imposant aux aspirants de pratiquer des
acrobaties au risque de la fracture.
"Forts" de ce bagage plus grotesque
que guerrier, Johnny et ses conscrits connaîtront un baptême du feu tout aussi
médiocre après avoir été envoyés à Rome à l’été 1943. Leur mission – participer
à la défense de la Cité éternelle, après que les Alliés aient débarqué en
Italie – prendra d’abord des allures de Désert
des Tartares, faute d’adversaires. Puis,
n’ayant pas même tiré un coup de feu, le bataillon de Johnny se délitera
comme le reste de l’armée italienne, une fois l’armistice conclu entre les
successeurs de Mussolini et les Anglo-américains. Johnny repartira alors vers
le Nord, essayant d’échapper aux Allemands devenus les adversaires des
Italiens, croisant bientôt la route d’un groupe de partisans antifascistes…
Évoquant à hauteur d’homme quelques
mois cruciaux de l’histoire italienne, ceux qui virent la rupture du pays
d’avec le fascisme et les prémices de son retour à la démocratie, Le Printemps
du guerrier en retranscrit toutes les facettes. Les plus héroïques comme
les plus viles. Avec une lucide puissance, l’écriture de Fenoglio donne plutôt
qu’à voir, à éprouver la déliquescence d’une nation assommée par vingt ans de
dictature. Et c’est avec une même force d’évocation que l’écrivain fait
ressentir la fièvre soulevée par les prémices de la liberté. Tantôt prosaïque,
tantôt poétique, marqué par une fin bouleversante, Le Printemps du guerrier constitue
un chef-d’œuvre (trop peu connu) du roman de guerre.
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