Faire du tourisme ou du terrorisme ? D'ailleurs "fait-on" seulement jamais du terrorisme ? Voilà la question posée par le terroriste joyeux, tout juste arrêté après la découverte d'une bombe dans ses valises. Mais voilà, "honnêtement", il n'avait aucune intention de commettre un attentat, raconte-t-il. Il rendait juste service à un cousin qui avait besoin d'une mule... Le début alors d'un interrogatoire sans queue ni tête, ou le croit-on, entre un original provocateur et un policier zélé. Le problème de ce terroriste, c'est qu'il est bien trop sincère et joyeux pour être honnête. Ou peut-être l'est-il vraiment ?
Bienvenue dans ce texte court où l'absurdité confine à la lucidité. Plutôt que faire un long réquisitoire contre l'Etat, le terroriste joyeux use du bon sens pour mieux révéler l'ironie de la langue et les incongruités du réel. Avec aplomb et autorité. Et un goût assumé pour la provocation élégante. Tel un Socrate du XXe siècle, ce terroriste joyeux, aux élans macabres, remet en question les évidences pour mieux pointer nos petits arrangements, nos angoisses ou nos peurs. Il nargue, titille, met au défi son interlocuteur. Jeux de mots, pirouettes rhétoriques, pétitions de principe et simili de syllogismes sont les ressorts de ce dialogue de sourds où les rôles s'inversent avant de connaître un destin commun. Rien n'est situé, ni dans le temps, ni dans l'espace. Pas de nom pour le policier ou le terroriste. Parabole d'une époque mortifère. C'est partout et nulle part à la fois. Comme deux joueurs de ping-pong, ils se renvoient la petite balle blanche à coups d'arguments, d'arguties et de mauvaise foi. Finissent par toucher du doigt quelques vérités sur le fonctionnement de l'Etat, l'essence de l'âme ou le sens de l'existence.
Amusante sans toutefois faire rire aux éclats—la mécanique narrative est parfois lassante, cette ballade intellectuelle (ou roman psychologique, ou farce) m'a fait penser au roman du hongrois Sàndor Màrai, Les Braises. Une façon de jouer sur l'horizon d'attente du lecteur, ses fausses représentations, prêtes à voler en éclat au filtre du va-et-vient du langage, et de la pensée. Sommes-nous prêts alors à croire le terroriste, à sa rhétorique piégeuse et à entrer dans sa logique de "fou" ? Car, après tout, peut-être n'est-il pas si coupable que cela. Rappelons qu'il n'a pas posé de bombe, juste transporté. Ou préférera-t-on, a priori, les pensées rationnelles, confortables et rassurantes, du fonctionnaire du police ? C'est tout le propos du livre : semer la confusion, jouer sur l'identification pour délivrer des habitudes de pensée et du piège des représentations. Par un texte rythmé, vif et découpé en trois parties, qui évolue malgré l'absence de mouvement des personnages. Le final est à l'image du livre : comme un syllogisme, les phrases mises bout à bout jouent un petit air absurde mais leur logique est imparable. Le décalage créé l'humour. Que croire et qui croire finalement ? Le livre ne tranche donc pas, fort heureusement, nous laissant orphelins d'un manichéisme si pratique d'habitude...
Bilan : pas un immense roman, au sens où on l'aura sûrement oublié dans deux ans. Mais un livre malin et joyeusement retors, qui fait réfléchir avec humour. Comme une agréable partie de ping-pong entre vieux potes. Des potes d'abord ennemis, qui ont fini par baisser les armes. Ou un combat de coqs obsédés par la gagne verbale, qui se finit par un joli hug enflammé...
Le Terroriste joyeux, Rui Zink, août 2019, Agullo, 112 p., 14.90€
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