Si vous êtes papa, cocu et que vous aimez le trail, alors ce livre est pour vous. Si vous pensez que la vie de famille est une folie, alors ce livre est pour vous. Si vous êtes en couple et que votre concubine dit qu'elle n'aura jamais d'enfants, alors ce livre est pour vous. Si le soir, c'est vous qui vous occupez du bain des enfants et pas de la cuisine, alors c'est que vous vous êtes fait avoir. Oui, à Paris ou dans le Jura, le Tramadol a le même goût... Et si votre VTT est doté d'une fourche Rockshox, ce livre est aussi pour vous...
De Pierric Bailly, j'étais resté sur le mitigé Michael Jackson et le très bon Polichinelle. J'avais zappé les deux suivants. Mais quand j'ai appris la sortie de son nouveau roman, j'y suis allé les yeux fermés, sans trop savoir pourquoi. A l'instinct, comme une évidence. Et les hasards, je n'y crois pas trop. Avec Les Enfants des autres, L'Espadon a visé plus que dans le mille. Et ça fait rigoler, et ça fait mal au ventre. La littérature qu'on aime.
L'action se passe dans le traditionnel Jura de l'auteur et on s'attendrait à une jolie carte postale, propre et délicate : Lamoura, le vin d'Arbois, les lunettes, le Comté, les lacs et les pipes (de Saint-Claude hein). Mais derrière les déprimants Lidl, Ada et Super U, on a droit au quotidien d'un type paumé, Bobby, en couple avec Julie, tiraillé entre ce qu'il croit avoir vu —son meilleur ami Max et sa copine en train de —, sa déprime post-cocufiage, ses enfants qu'on lui a volés et une blessure au pouce qui l'éloigne de son boulot. Il voudrait des enfants quand Max, son meilleur pote père de trois enfants, voudrait s'en débarrasser. Il voudrait une vie rangée de bon père de famille quand Max n'aspire qu'à souffler et baiser des petites Hollandaises dans les campings l'été. Symétrie du désir jamais satisfait, jeu sur la matière littéraire, chronique déchirante et rigolarde de la vie de famille ou de l'amour à tout âge, Les Enfants des autres frappe fort.
Bonheur et labeur d'être papa. Liberté présumée du célibataire, enfermement du père piégé. On n'en peut plus de la vie de famille, des cris, des pleurs, des questions relous, du bain et du livre avant le dodo. C'est aliénant, tyrannique. On fantasme la vie des autres car l'herbe semble toujours plus verte ailleurs. On n'oublie la sienne, son désespoir et ses rêves déchus. La routine avec des enfants est effrayante, insupportable mais pour rien au monde on ne l'échangerait contre une vie passée à coucher à gauche, à droite, au nord et au sud du Jura. Quand on croit ne pas aimer les enfants, ce sont d'abord ceux des autres. Les nôtres, ils sont notre trésor, notre raison de vivre. Dilemme insoluble qui ne laisse aucune alternative. La dépression ou le Tramadol. Ou si, l'écriture. Car Pierric Bailly écrit des choses connues sur le sujet mais le fait avec une douloureuse justesse que l'humour goguenard vient parfois tempérer. Certains passages à la loupe sur le désir d'enfants, la paternité, l'éducation ou les taches domestiques, sont d'une précision clinique. La construction du récit en miroir, d'une scène inaugurale ébouriffante au final plein de malice, suffit à tenir en haleine. Ça commence comme de la SF familiale, se poursuit par une chronique sociale sur un fil, —façon comédie jurassienne—, du thriller chelou dans les bois ensuite, et une pirouette de l'Eternel retour pour finir. Tout ça d'ailleurs n'est peut-être qu'un rêve ou un cauchemar. Ou la réalité. Rien n'apaise et rien ne rassure. Et c'est bien cette écriture qui finalement vous laisse le choix : vous pouvez préférer la première partie du bouquin, ou la deuxième. Vous identifier plutôt à Bobby qu'à Max. Vivre la première scène ou rêvez la dernière. Et inversement. Le mimétisme, la jalousie, le désir sincère, la nécessité... Qu'est-ce qui nous meut réellement ?
Pierric Bailly aime jouer avec la matière littéraire. Il suspend le jugement et, en le différant, l'annule. Si bien qu'on a toujours et jamais le choix. J'ai rigolé, j'ai eu mal au ventre, je me suis inquiété pendant 200 pages, sans pouvoir lâcher la bête. Pour avoir des enfants, faut-il être un peu maso ? Est-ce le seul moyen de réenchanter sa vie ? Au fond, ce livre est un manifeste pour le jeu. Le jeu littéraire, le jeu de séduction, le jeu avec les enfants (ah l'accrobranche), le "je" dans le couple, le "je" au regard du "nous". Comment on se réinvente, comment on se perd et se noie. Car le jeu, ou la course à pied comme fuite, c'est tout ce qu'il reste quand vous êtes condamné à être insatisfait en couple ou en famille. Faites du VTT (avec une fourche Rockshox, coquille page 8, Monsieur P.O.L.) en forêt jurassienne, lancez-vous à fond dans le trail, évadez-vous pour chasser vos démons. Et surtout, surtout, scrutez les portes ouvertes. Elles pourraient vous aveugler ou vous ouvrir d'inattendus horizons. Même si ce que l'on a vu est peut-être ce que l'on croit avoir vu... Prendre son désir pour la réalité. Ou le réel comme la partie émergée du désir. Le réel comme une création du désir...
Premier livre en 2020 et premier gros kif. Le genre de bouquin qui va me travailler encore des semaines quand, en forêt, je serai sur mon VTT, entouré de sangliers, avec au loin des cris bizarres. L'inertie ou l'adversité, le silence ou le bordel. A vous de choisir.
Les Enfants des autres, Pierric Bailly, P.O.L., janvier 2020, 204pp., 18€
L'action se passe dans le traditionnel Jura de l'auteur et on s'attendrait à une jolie carte postale, propre et délicate : Lamoura, le vin d'Arbois, les lunettes, le Comté, les lacs et les pipes (de Saint-Claude hein). Mais derrière les déprimants Lidl, Ada et Super U, on a droit au quotidien d'un type paumé, Bobby, en couple avec Julie, tiraillé entre ce qu'il croit avoir vu —son meilleur ami Max et sa copine en train de —, sa déprime post-cocufiage, ses enfants qu'on lui a volés et une blessure au pouce qui l'éloigne de son boulot. Il voudrait des enfants quand Max, son meilleur pote père de trois enfants, voudrait s'en débarrasser. Il voudrait une vie rangée de bon père de famille quand Max n'aspire qu'à souffler et baiser des petites Hollandaises dans les campings l'été. Symétrie du désir jamais satisfait, jeu sur la matière littéraire, chronique déchirante et rigolarde de la vie de famille ou de l'amour à tout âge, Les Enfants des autres frappe fort.
Bonheur et labeur d'être papa. Liberté présumée du célibataire, enfermement du père piégé. On n'en peut plus de la vie de famille, des cris, des pleurs, des questions relous, du bain et du livre avant le dodo. C'est aliénant, tyrannique. On fantasme la vie des autres car l'herbe semble toujours plus verte ailleurs. On n'oublie la sienne, son désespoir et ses rêves déchus. La routine avec des enfants est effrayante, insupportable mais pour rien au monde on ne l'échangerait contre une vie passée à coucher à gauche, à droite, au nord et au sud du Jura. Quand on croit ne pas aimer les enfants, ce sont d'abord ceux des autres. Les nôtres, ils sont notre trésor, notre raison de vivre. Dilemme insoluble qui ne laisse aucune alternative. La dépression ou le Tramadol. Ou si, l'écriture. Car Pierric Bailly écrit des choses connues sur le sujet mais le fait avec une douloureuse justesse que l'humour goguenard vient parfois tempérer. Certains passages à la loupe sur le désir d'enfants, la paternité, l'éducation ou les taches domestiques, sont d'une précision clinique. La construction du récit en miroir, d'une scène inaugurale ébouriffante au final plein de malice, suffit à tenir en haleine. Ça commence comme de la SF familiale, se poursuit par une chronique sociale sur un fil, —façon comédie jurassienne—, du thriller chelou dans les bois ensuite, et une pirouette de l'Eternel retour pour finir. Tout ça d'ailleurs n'est peut-être qu'un rêve ou un cauchemar. Ou la réalité. Rien n'apaise et rien ne rassure. Et c'est bien cette écriture qui finalement vous laisse le choix : vous pouvez préférer la première partie du bouquin, ou la deuxième. Vous identifier plutôt à Bobby qu'à Max. Vivre la première scène ou rêvez la dernière. Et inversement. Le mimétisme, la jalousie, le désir sincère, la nécessité... Qu'est-ce qui nous meut réellement ?
Quand il évoque ses trois garçons c'est toujours pour me dire à quel point il les aime, à quel point c'est beau, merveilleux, magique d'avoir des gamins, qu'il ne regrette pour rien au monde et que si c'était à refaire, etc., etc., ce genre de propos un peu niais. Un peu ? Ultra-niais tu veux dire.Derrière la légèreté de façade et le côté lisse de l'écriture, Pierric Bailly nous dit, d'une certaine manière, que le prochain terrorisme sera psychologique et familial, comme j'ai pu le lire dans un article de mon collègue Shangols au sujet du Protocole gouvernante. Il y a de cela en effet. Pierric Bailly fait de la vie de famille —le sujet le plus ordinaire du monde sur le papier—, un truc complètement dément, une odyssée schizophrénique qui suscite le doute à chaque scène ("Et c'est ce mélange de tout ça, de mièvrerie et d'apparente maturité, de fatigue et d'enthousiasme, de platitudes assommantes et d'émotions brutes, simples, sincères, qui a fini par me faire plier, par me convaincre de la nécessité pour moi aussi de me frotter à cette expérience"). Et le Tramadol avalé ne fait que renforcer l'impression qu'avoir des enfants est l'EXPERIENCE du XXIe siècle ! A l'heure du vieillissement démographique, de la crise économique et des routines régionales...
Pierric Bailly aime jouer avec la matière littéraire. Il suspend le jugement et, en le différant, l'annule. Si bien qu'on a toujours et jamais le choix. J'ai rigolé, j'ai eu mal au ventre, je me suis inquiété pendant 200 pages, sans pouvoir lâcher la bête. Pour avoir des enfants, faut-il être un peu maso ? Est-ce le seul moyen de réenchanter sa vie ? Au fond, ce livre est un manifeste pour le jeu. Le jeu littéraire, le jeu de séduction, le jeu avec les enfants (ah l'accrobranche), le "je" dans le couple, le "je" au regard du "nous". Comment on se réinvente, comment on se perd et se noie. Car le jeu, ou la course à pied comme fuite, c'est tout ce qu'il reste quand vous êtes condamné à être insatisfait en couple ou en famille. Faites du VTT (avec une fourche Rockshox, coquille page 8, Monsieur P.O.L.) en forêt jurassienne, lancez-vous à fond dans le trail, évadez-vous pour chasser vos démons. Et surtout, surtout, scrutez les portes ouvertes. Elles pourraient vous aveugler ou vous ouvrir d'inattendus horizons. Même si ce que l'on a vu est peut-être ce que l'on croit avoir vu... Prendre son désir pour la réalité. Ou le réel comme la partie émergée du désir. Le réel comme une création du désir...
Premier livre en 2020 et premier gros kif. Le genre de bouquin qui va me travailler encore des semaines quand, en forêt, je serai sur mon VTT, entouré de sangliers, avec au loin des cris bizarres. L'inertie ou l'adversité, le silence ou le bordel. A vous de choisir.
Les Enfants des autres, Pierric Bailly, P.O.L., janvier 2020, 204pp., 18€
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