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Jours de manif à L.A., Suf Marenda (Éditions Vanloo)

On ne sait pas au juste d'où vient cette humble pavasse, de Palavas ou d'Arenberg. Des Deux-Sèvres ? Mais on sait où elle atterrit, sur le paye-vment de Hell-lay. Et quand t'arrives avec des résonances-références de Bruce B., de Baudrillard et de Mike Davis (Au-delà de Blade Runner, l'imagination du désastre), tu t'attends à du bon. Au moins, t'es en terrain connu, pas en terre inconnue. Quoique, si, avec suf marenda, t'exploses le bitume des sons, dans un grand fracas maverick littéraire. 
Fantôme de béton, irréalité tenace, la cité des anges est un bunker que suf marenda s'attache à détruire dans un va-et-vient constant entre la dissolution du langage et ses possibilités infinies, détruire pour reconstruire. Péroxyder pour composer, tout saccager pour édifier. Un texte gonzo qui, à sa façon, tente de repoétiser les parking lot au monoxyde de baroque. Là-bas, tu peux pas manifester, y a pas d'espaces publics. Alors tu le fais avec un livre.


Il faut lire ces "aphorismes scooteristes", ces notes de bas de pages qui singent la science, ces assemblages vocaliques hirsutes, un flow de malade entre les trucks et les crack house. Géographie du chambranle, urbanisme de listes, de ronds et de cercles, géométrie de la saccade qui anonymise ses pedestrians. C'est une émeute de mots, des tirs à vue dans L.A., ensemble a-poétique à l'étrange irréalité. Suf marenda se fait angry young thug pour mettre en vers tous les mirages du capitalisme, tous les virages du monde qui ont le goût de la ligne droite. On a du Black Flag dans la tête tandis que Bad Religion chanterait, loud and proud, Los Angeles is burning. Antienne où il faut réinjecter du Saint-Simon, réhydrater les piscines de San Diego. Suf marenda über alles qui se paye les anges de paypal et des étoiles de Californie dans une foire d'empoigne, un enchantement verbal où il puzzle les mots, les lettres les consonnes pour que ça dissone et résonne et ressonne.
Hell-est est fait en placo, en tic et en toc, factices factotum, jungle de signes désincarnés, signifiants et signifiés perdus dans leur rôle, illuminés par des néons trop criards.



Fascination du néant, tropismes et puissance du vide. Suf marenda aimante avec son parlé limbique où tu creuses ta piscine — jamais piscinable — comme tu te prépares à entrer dans ton cercueil. À el lay t'es perdu quand le centre a disparu et tu te retrouves à Sans Diego, Niort ou Chambé. De l'urbanisme hard boiled, de la géographie hard-on. La civilisation a fait plouf, du privé sans piéton sans public, peuplé de drive-in. Ici, c'est pas Paris mais marenda-land. Jubilatoire, ouais, hilarant, ouais, fascinant ouais. C'est beau ça, une "mystification de toute parole mytheuse". Mais il faut insider la bête jusqu'à s'y perdre. Petit Bourgeois Sauvage nous embarque, fascinés, dans son petit monde où tu finis avec l'envie de tout exploser. Car, t'as beau être l'employée du Moi, t'es personne Angela. Niée dans ta présence, toi avec Angelo, les figurants et localistes du MYTHEux. Bel hommage aux outsiders, aux mavericks, aux freaks quand Suf Marenda se fait wizard du substantif, chaman et chimiste du verbe pour revitaliser un fantôme de béton.
Pur plaisir du texte, pur plaisir de la langue réinventée qui a la saveur d'un uppercut, ton shoot de bitume où tu bouffes du pavé et que t'aimes ça. Toute littérature digne de ce nom devrait ressembler à ça. Des bouquins qui te parlent d'un univers. J'ai honte, oui. Je ne lis pas assez de poésie. J'ai honte. Promis, je vais m'y remettre, grâce à Suf.
Jour de manif à L.A. ? Poésie gonzo certifiée sans vernis et sans cheddar.
                                                                                                                                             
Jours de manif à L.A., Suf Marenda, Vanloo éditions, mai 2020, 56p., 9€

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