Comme on dit, la rencontre n'a pas eu lieu entre l'écriture d'Elisa Shua Dusapin et L'Espadon. J'ignore pourquoi mais ce livre m'intriguait. Un lieu exotique, Vladivostok, un univers des marges, l'enceinte désertée d'un cirque et un trio d'acrobates ultra performant qui se prépare à un concours international à Oulan-Oude. Au milieu, Nathalie, engagée par le cirque pour confectionner les costumes des artistes. Elle débarque et découvre un monde où grâce et technique dansent sur un fil. Anna va-t-elle réussir quatre triples sauts périlleux sans descendre de la barre ? Quelles relations entretiennent Anton, Igor, Nino, Léon ? Des acrobaties mais surtout une question de mort où l'on ne joue pas moins que sa vie. Une question de muscle, de gainage mais aussi et surtout de confiance.
Je crois que ce roman parle d'identités et d'origines toujours un peu floues, de marges et de risques, de cohésion et de fraternité, de grâce et de technique, d'énergie et de failles qui nous ralentissent ou nous poussent sur le côté. De décalages et de grand écart géographique entre la France et Vladivostok et des lieux insituables. Comme cette figure qu'il va falloir répéter, travailler jusqu'à l'écoeurement, pour un seul but, réaliser une prouesse unique. Anna sera-t-elle la première femme au monde à réussir quatre triples sauts sans descendre de la barre ?
Je fais essayer leurs costumes. Pour les hommes, j'ai gardé une base sombre, un ensemble de velours et la tête nue. Sobre. Des chaussons de cuir noir. Une bande de lumière des poignets jusqu'au cou donnera l'illusion de prolonger la barre dans le sillage d'Anna.
Si l'on suit sans déplaisir les pas de ces acrobates qui, au-delà de la performance pure, sont en quête de sublime et de beauté, on ne s'y attache jamais vraiment, incapables de voir toujours un sens à leurs trajectoires. L'impression que ce récit fait des moulinets de jambes dans le vide laissé entre la piste aux étoiles et les recoins sombres et silencieux du chapiteau. Je n'ai par exemple, à mon grand regret, jamais pu visualiser les mouvements de ces scènes d'acrobatie pourtant centrales dans ce livre, ressorts de tension et de dramaturgie. Le cirque, finalement, c'est comme le vélo, une métaphore de l'existence. Pour apprendre à voler, il faut d'abord savoir tomber puis apprendre à se relever. Ce que, à mon sens, Élisa Shua Dusapin ne parvient pas à faire avec ses personnages, elle le réalise dans l'écriture. Fluide, aérée, suspendue, épurée, elle traduit souvent avec délicatesse l'ingratitude d'un destin de circassien, au-delà des relations moulées dans les secrets et les non-dits. Si je me suis souvent ennuyé, je n'ai pas été insensible à cette prose qui reste à bonne distance de son sujet sans réellement faire corps avec lui. Une prose élégante mais sans grande personnalité.
Le plus réussi reste finalement ce récit d'ambiance, plus léger que réellement tendu, où les sensations olfactives donnent la réplique aux bruits feutrés et aux goûts d'une cuisine exotique, qui parlent le mieux de ce lieu où l'on n'est plus tout à fait soi mais pas encore quelqu'un d'autre.
On tourne en rond et en l'air et on ne comprend pas toujours où l'autrice veut nous emmener. Alors on se laisse bercer ici ou là par la douceur de l'écriture, des parenthèses suspendues en surplomb d'un sens impalpable dans un univers étrangement incarné. Un livre de funambules pour dompter le vertige de l'existence.
Vladivostok Circus, Elisa Shua Dusapin, Zoé éditions, août 2020, 175 p., 16,50 €
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