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Le Vieil Homme. Des adieux, Noga Albalach (Do éditions)

 Un texte pour jeter des sorts à la mort, la prendre par les cornes pour mieux la dissoudre et la renvoyer à ce qu'elle n'est pas. Opposer aux derniers jours une mémoire des instants, la force d'une littérature sans effets, la puissance de liens intimes, la présence des vivants, la tendresse mêlée de bienveillance d'une fille pour un père qui s'efface à petits feux. Shlomo perd la mémoire et la retrouve en de brefs instants, lucide et sagace sans le vouloir (Dis, papa, tu sais qui je suis ? Qui pose la question ?), digne et timide, puis disparaît parce qu'il n'est qu'un être humain. Sa fille veille, le soutient sans condition, l'interroge et prend des photos sur "la pellicule de sa mémoire". Ce livre alors comme un album sépia où chaque scène creuse des bouts de vie, peint le tableau d'une humanité jamais aussi présente pour n'en garder que l'optimisme. Il semble qu'une proximité nouvelle puisse éclore précisément au moment même où les distances s'allongent, où les êtres s'éloignent, où le sentiment de perte vous foudroie. Le souvenir est alors une matrice du temps présent, la condition d'une prise de conscience, qui vous rappelle qu'on ne peut vivre intensément que dans l'instant. La perspective de la mort est alors ce qui rapproche, ce qui unit les trajectoires au lieu de les défaire. Point de rupture mais des continuités sensibles, une chaîne d'amour indéfectible. Des phrases sans doute bien compliquées, pardonnez-moi, qui ne restituent pas la beauté simple de ce texte, envahi de douceur et de tendresse. 

Les derniers textes publiés par Do éditions sont hantés à leur façon par la vision de la mort. Hasard ou pas, c'est toujours pour aller chercher ce qu'il y a de plus inattendu. Jamais tristes ou désespérants, sinistres ou morbides, ces textes rassurent et suspendent le temps (La Mort et autres jours de fête), tissent des ambiances douces et légères malgré le sujet. Ils vous bercent et vous caressent, invitant le lecteur à l'empathie pour ce Shlomo et sa petite fille. Comment ? Par un ton doux-amer et cet humour parfois incongru au milieu de ce qui est toujours vécu comme une tragédie. Mais ce n'est pas une tragédie, plutôt un conte réaliste rempli d'instants aussi magiques qu'ils semblent anecdotiques. Des fragments de vie, des bribes de passé, des anecdotes de rue. Un livre d'une fragilité lucidité, qui nous dit que l'existence est aussi absurde que fascinante, aussi légère que tragique, teintée d'une joyeuse bizarrerie. La bonté et la compassion traversent les générations, elles sont mêmes léguées comme des biens précieux. Il ne reste que ça et tout ça à la fois pour tromper notre condition de mortel. C'est peu et immense, mais une vague sereine doit finir par vous emporter, dans un dernier souffle à peine audible, perceptible. On s'en va mais les autres restent, votre souvenir aussi. Ce sont ces pages saturées de blanc, qui disent les silences pleins de mots et les souvenirs qu'on imagine, qu'on reformule par petites touches. Un livre aussi tout en ironie — c'est fondamental —, toujours délicate, celle d'une existence qui est à elle-même sa propre ironie, insensée et magnifique.
Autrefois, le vieil homme vivait ici, il vivait et il n'est plus. Cette chose, à un âge avancé, sa fille a du mal à le comprendre.
Un texte pour apaiser les âmes. Un texte émouvant. Un livre plein de sourires finalement, de ceux qui savent le tragique sans s'y soustraire. Une haie d'honneur aux liens éternels, une stase familiale pleine de grâce. Un livre à l'image de ce vieil homme, humble et digne, pudique et empli de générosité, qui nous tend le miroir d'une humanité encore digne d'être aimée. Si ce livre ne vous touche pas, alors je ne peux plus rien faire pour vous.
                                                                                                                                                                   

Le Vieil Homme. Des adieux, Noga Albalach, traduit de l'hébreu par Rosie Pinhas-Delpuech, Do éditions, septembre 2020, 124 p., 16€.

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