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Vendredi poésie #10 : Pipi, les dents et au lit, Laetitia Cuvelier (Hors Collection, Cheyne éditeur)

 Un seul titre pour ce vendredi poésie #10, mais un recueil tout en douceur pour neutraliser toute l'effervescence d'un foyer composé d'un couple et deux enfants. À en croire le nombre d'éditions, cinq, ce recueil publié pour la première fois en 2015 a déjà séduit un nombre conséquent de lecteurs de poésie, à l'image de Je, d'un accident ou d'amour de Loïc Demey. Il y a donc de la place pour les poètes en librairie. Dans Pipi, les dents et au lit, il est bien question de "charge mentale" à travers le regard d'une femme qui habite entre deux sommets. Un quotidien rythmé par le travail, les floconnades, l'activité enfantine ou les absences des uns et des autres. La routine, rien que la routine et ses fulgurances de sens piégées dans des questions sans réponse.


Très bel objet carré aux pages vertes, confectionné par l'éditeur-typographe lui-même. Plus d'une centaine de pages où une femme se souvient, raconte et décrit, s'inquiète, traduit parfois son désarroi de mère impuissante et d'amante esseulée. Schizophrénie des rôles et des "je" face à des montagnes de Playmobil et de Kleenex pulvérisés dans la machine à laver, colère accumulée puis déversée à cause d'un tube de dentifrice. Les petites disputes succèdent aux inquiétudes de l'enfance, la terre tremble et l'horizon déchiquète parfois les sommets. Comme un appel à la vie et au silence, au besoin de repos et de cohue pour se sentir vivant, Pipi, les dents et au lit dit avec des mots d'une touchante simplicité l'amour entre les êtres, l'incommunicabilité, la folie, les bonheur et labeur d'une vie de famille, la douce tyrannie du groupe renforcé par la solitude des montagnes, traversée quelquefois de poids-lourds en route vers la Turquie, d'une jeunesse envolée, de rêves déchus (?). Les fatigues et les enthousiasmes aussi, les platitudes assommantes et les émotions brutes, les joies simples et les mystères éternels. La fatigue d'une mère qui tue le désir de l'amante à qui il ne reste que les souvenirs d'une étreinte brûlante dans un cours d'eau, le trop-plein quotidien qui vide toute envie une fois seule dans cette maison trop grande pour une personne. Pierric Bailly, dans Les Enfants des Autres, évoquait l'aliénation de la vie de famille dans un formidable roman : l'inertie ou l'adversité, le silence ou le bordel. Même courant ici, mais dans une poésie fluide et entraînante, douce mélopée des fins de journée qui rappelle la fièvre quotidienne d'une femme qui cumule les fonctions, qui voudrait parfois casser cet horizon étriqué et balisé pour caresser une vie plus apaisée ou étonnante.

Nous faisons l'amour / Même si je suis fatiguée / Je crois faire semblant / Mais cela ne dure pas longtemps

Très beau recueil d'instants de vie et de spontanéité dans les paroles, ce recueil, dans un même élan, fige le temps et l'ouvre aux souvenirs d'une vie encapsulée dans une routine frontale, aux possibles d'enfants qui grandissent, en taille et en âge. La grande force de Laetitia Cuvelier, c'est d'en débusquer toute la poésie, non sans un humour discret, qu'elle surgisse des mots enlacés, de gestes inattendus ou d'une réflexion à partir d'un regard en forme d'interrogation. Très beau.

Si vous mourez tous les deux / En même temps / Papa et toi ? / Je cherche mes mots / Ceux de ma fille / Arrivent avant / Ne t'inquiète pas / Je prendrai mon petit frère / Et ma lampe de poche / Pour traverser le tunnel / Et j'irai chez ma maîtresse / Je sais où elle habite

                                                                                                                                                                  

Pipi, les dents et au lit, Laetitia Cuvelier, Hors Collection, Cheyne, 2015, 111 p., 16€

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