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Je, d'un accident ou d'amour ; Loïc Demey (Cheyne)

 Il fallait bien une rencontre amoureuse pour faire disparaître le verbe, effacer l'action remplacée par la scansion du langage sentimental, champ lexical de la perte et de la phrase nominale. Une splendeur ce livre, la beauté du déséquilibre quand une apparition frappe au jardin du Luxembourg autour d'un roman, d'un voilier à pousser et d'une chaise verte sur les petits graviers blancs. Non pas un personnage mais une femme bien réelle, à la vertigineuse beauté. Quand l'amour rend boiteux, on en perd son latin et on se met à crier en grec. Enfin non, plutôt sans verbe mais avec des adjectifs, des adverbes plein la tête à cause de la belle Adèle. Phrases et images d'un chamboulement, vertige d'une rencontre, d'un cheminement, une explosion de sensations à en perdre le sens de l'orientation. L'amour ne rend pas aveugle, mais fou ou bègue et parfaitement lucide et inventif...


Saisir ou capter ce gouffre, c'est triturer la langue pour en faire le filtre ou le miroir sensible digne du sentiment qui n'est pas moins qu'un foudroiement. À peine 40 pages au bord de l'abîme en surplomb de la raison, en équilibre sur le fil des émotions qui tournoient, enflamment et consument. Seize chapitres de jeu et d'investissement, de surprenantes associations, condensé de passions et de pertes, une illumination qui s'éteint quand le courant revient. Celui des habitudes, pétries d'infinitifs et de verbes définitifs qui ont le goût des limites. C'est un livre qui amuse et éblouit, rend l'expérience diablement séduisante. L'amour est éclairs, jaillissements et jets, mélange et bordel plaisants des corps enfin en vie, aimantés par un truc qui les dépasse, sans nom et sans logique. L'amour naît du fragment et des cristaux, à recomposer et fragiliser. Je actif, du texte et amoureux des mots, d'Adèle. Je livre jamais fleur bleue, je envie la connaissance de l'un de l'autre, corps effleurés caresses bégayées, je narrateur perdu d'un accident, je pas les mots et surtout pas le langage dans ces pages virtuelles.

Depuis, ma pensée se désordre. Mon langage se confusion. D'un commencement comme ça. Je voiture Adèle jusqu'à la gare de l'Est, elle se départ chez elle, distance d'ici. Bien trop lointain. Elle m'amour, je l'énormément, mais elle s'en retour. À trois centaines de kilomètres.

Je, par le rythme étonnant, je devant mon écran sans boussole sans mots, je seul alors que le jeu à deux à trois  un lecteur un écrivain un personnage, je le triangle amusé entre mensonges et emportements, entre Adèle et Delphine. On la découverte d'un prof d'EPS, Loïc Demey, un premier livre de lèvres et de clignements, de routines et de dérapages. On se tristesse, on s'heureux trouve, pour l'éther, pour l'éternité des accidents d'amour. Je bravo et applaudissements devant l'incroyable exploit. Adèle, rien qu'Adèle.

                                                                                                                                                                   

Je, d'un accident ou d'amour, Loïc Demey (prof d'EPS à l'époque ?), Cheyne, octobre 2014, Prix Révélation 2016 Poésie de la SDGDL, 44 pages, 17€

Commentaires

  1. Super chronique, très poétique, un beau texte en lui-même qui agit comme une super introduction au livre que je lecture rapidement ! Merci L’espadon

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