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Agacement mécanique, Olivier Hervy (L'Arbre Vengeur)

En ce moment, je traque les aphorismes comme un alpiniste en quête de son shoot d'air. Avec une tendance Ito Naga, Paul Lambda (récemment chroniqué sur ce blog), et désormais Olivier Hervy, qui roule sa bosse depuis un certain temps déjà dans le domaine des petites phrases couperets. Je m'éclate littéralement. Cet Agacement mécanique, publié en 2012 à L'Arbre Vengeur, est follement malin et très drôle. Si la fonction de l'art est de faire voir ce qu'on ne voit pas, alors Olivier Hervy est un grand artiste des mots. Les paradoxes du quotidien sont toujours incongrus, tellement routiniers qu'on a fini par ne plus rien voir, plus rien comprendre. Il fallait donc la logique toute poétique d'un auteur inspiré, d'un observateur affûté. Qu'il évoque une couscousserie pas à sa place, une étiquette de Champagne, le parti socialiste en action (haha), la mêlée des joueurs de foot, un voisin désagréable, les groupes de niveau en natation, Olivier Hervy fait souvent mouche en nous enlevant les mots de la bouche. "Mince, bien sûr, j'aurais dû y penser plus tôt !" 

Olivier Hervy règle ses comptes avec humour (la FNAC et Marc Lévy, les voisins, le bijoutier, les trapézistes...), glisse ici ou là des évidences invisibles à l'oeil nu. D'ailleurs l'oeil n'est jamais nu, mais masqué ou trop seul, et c'est le talent de l'auteur de nous en donner un deuxième pour éclairer le regard. De grands yeux ouverts sur les minuscules détails de la vie. Les détails des détails, les mots comme une loupe d'humour sur le monde et son étrange absurdité : "Il court à côté de sa mobylette comme s'il voulait la rattraper alors que c'est parce qu'elle ne démarre pas"; "Curieusement, si l'on en croit le géographe qui emploie des termes techniques, le poète serait le dernier compétent  pour la lecture de paysage". "La petite gomme au bout du crayon sous-estime le travail de correction".
D'où vient que le Tour de France qui n'est qu'effort donne tout de suite une impression de monotonie ? Impasse, est-il signalé sur un panneau devant le petit chemin qui mène à l'océan."

On rit, on s'amuse, on s'interroge. L'aphorisme comme un doux et petit crochet dans ta tête, pour te réveiller et t'éveiller à la drôlerie du monde, à sa magie, à ses enchantements cachés. Regarder la paresse et la tendresse en face, c'est une question d'ouïe et de regard, de toucher et de sensations. Dire en quelques mots les travers de nos semblables, leurs fulgurances, avec une malice parfois retorse, une ironie bien placée, amusement des petits riens, joie des paradoxes féconds. L'aphorisme, une façon d'embrasser le langage des lieux communs, les dépasser pour leur inventer un territoire boisé, avec creux et dénivelés, unique, sensible. Un jeu avant tout. Jeu avec les mots, leurs sons, jeu avec le sens des mots, dans tous les sens. L'aphorisme est doucement subversif. Il pointe et détourne, magnifie l'absent et le pas de côté. N'épargner personne, ni même soi-même, l'aphoriste n'étant jamais dupe de ses petits effets (voir l'aphorisme "opinion de l'auteur sur ses propres écrits"). Après quoi court l'aphoriste ? Les mots mis dans le "bon" ordre, c'est-à-dire un désordre à inventer, à coordonner avec des latitudes de mots, des longitudes de phrases. Du désordre naît le sourire, et l'évidence de nos impuissances. Lisez Agacement mécanique, un égarement (plus que) sympathique. Comme un voilier sagace.
                                                                                                                                                                     
Agacement mécanique, Olivier Hervy, Arbre vengeur, 2012, 8€.


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