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Fantaisies Guérillères, Guillaume Lebrun (Christian Bourgois)

 Let me tell you, this novel is not a bullshiterie, mais alors pas du tout. C'est même un fucking bon roman ! Avec des English, des grenouilles, des Bourguignons et la meilleure d'entre nous, Jehanne notre sauveuse, notre guérillère aux visions spectrales qui n'entrave pas grand-chose aux bibleries. Jeanne qui sculpte elle-même son mythe. Comprenez bien, cher Guillaume Lebrun, j'ai la comprenette difficile. Alors au début, t'entraves pas tout, le temps d'installer ta teste dans la lecture. C'est Yo qui parle, et qui nous parle, d'un élevage de Jehanne pour bouter vous savez qui, et sauver et le royaume et le roy de France. Plus tard, c'est Jehanne. Jehanne qui, parmi une dizaine de Jehanne de la Knight Academy, a été reconnue entre toutes pour bielle et grande mission. Et Jehanne, "bien au-dessus du lot genré", en a dans le heaume, "Hardie à la lutte", "Dévorante à mains nues", "Druidesse parmi les Druidesses"... what the fucking hell, Yolande, par où commencer ?

Apunkaplypse Now. Enfin, voilà le premier livre de la rentrée à me faire vibrer. Un roman, il faut bien le dire, de toute biauté my sweetheart. Prenons au mot Sir Lebrun, il s'agit d'une bonne grosse fantaisie, de celles où l'imagination prend le pouvoir totalitaire. Sur la fiction, l'histoire de France, la réécriture de l'histoire de France, les bullshiteries de roman qu'on nous sert à chaque rentrée. L'auteur ne s'interdit rien, laissant libre cours à une langue fictive, parfait mélange de vieux françois, d'english-hell, de vieilles références digne de l'Ecole des Chartes, de poésie courtoise entre pure modernité et classicisme plaisamment décati. Il en résulte un  nut-délire, une fantaisie historique, une grosse farce, appelez ça comme vous voulez, qui fait mouche de bout en bout. Jeanne d'Arc, débarrassée de sa légende ou presque, devient une Jehanne au style punk, prête à tout détruire sur son passage, à embrasser ses visions avec sa hallebarde, au propre comme au figuré. Jehanne attaque, dézingue, pilonne, fait table rase de toute propreté littéraire pour nous servir sur un plateau des hordes d'English flippés devant tant de détermination. L'Élue, croyez-le ou non, est une souillon, dans un état de délabrement indigne de toute prophétie, mais avec un charisme de dingue, immense, grand comme mille rires déments... Elle ne peut pas s'empifrouiller les grands de ce monde, beaucoup d'hommes, et comme elle est "Experte en anéantissement des bullshiteux de toutes obédiences", vous voyez le tableau se dessiner...

Il paraît que quelquefois, en venant en âge, vous avez un rouage de cervelle qui fonctionne mal et commencez à voir des choses et entendre des gens qui ne sont point là, pourtant certain que vous n'êtes fol en rien. J'entrai dans la montagne-cathédrale en me disant what the fucking hell, Yolande : que ce que tu vois soit la réalité ou pas, t'es foutue de toute façon, alors autant aller jusqu'au bout de ton delirium tremens.  

Ce livre est magistral pour beaucoup de raisons. La première étant son travail magnifique sur la langue. Ça vient de nulle part, c'est fluide comme une vision de chamane et c'est d'autant plus réussi que c'est improbable. En termes d'atmosphère, c'est géant. Complètement moderne et parfaitement désuette, cette langue diablotine en diable, Sugar, invente sa propre légende narrative. Lebrun a dû avoir quelques mots soulignés en rouge dans son traitement de texte. Lebrun, que je renonce à barnaudir, nous dit aussi au passage que l'écriture de l'histoire n'est avant tout que réécriture. C'est même l'écriture qui fait les légendes, invente ses démons, ses vaincus et ses ouinneurs. Mieux, l'histoire, ce ne sont que des histoires, que seule la littérature peut embrasser de cette manière. Fantaisies guérillères est donc d'abord un formidable hommage aux pouvoirs de la littérature et de la fiction, dans sa capacité à produire des mondes nouveaux, cohérents et crédibles.

Ensuite, si le projet est ironique et rentre-dedans, il n'est jamais gratuit. Lebrun s'appuie sur les ressorts du genre historique —complots, batailles épiques à la hache, intrigues, démons, monstres, forniqueries...—avec un véritable sens du suspense, et détourne tout ça à sa sauce punk-hardcore-paillarde-ripaille. Et c'est là où fonctionne la grosse poilade. Ce roman est une tuerie d'humour, à parfaite distance entre le subtil et le grossier. Oui, nous avons là une farce mais une farce intelligente, combative, engagée qui va bien trop loin, notamment dans les trente dernières pages où ça part en quenouille avec Abdul et le Noeud. Mais c'est pas grave car Lebrun enchaîne les scènes épico-érotico-mystiques de toute biauté. Les scènes de vision, la scène de sexe lesbien dans la forêt, les scènes de combats corps-à-corps, il y a dans ce bouquin beaucoup de morceaux de bravoure dans une langue délicieuse. Je me suis amusé à souligner tous les mots inconnus mais parfaitement compréhensibles avec un peu d'induction. Comme un enfant qui découvre la lecture, ne comprend pas tout, mais sent qu'il assiste au déploiement du merveilleux. Un vrai gamin qui retrouve l'innocence d'une première lecture, d'une première fois, sur un sujet qui gonfle souvent en littérature. On ne parlera pas de toutes ces expressions tordantes glissées ici ou là au détour de phrases (p. 264 : "ainsi de grimpette en grimpage"; p. 217 : "MY NA-ME IS YO-LAN-DE. I AM FROM A-ARA-GON." p. 161 : "Et tout ceci survient parce que tu t'aperçois subitement que le dessous te pliqueplotte et, devenue chaude sur le potage, tu vas ratisser des promeneuses !")

Enfin, je vous ai dit que ce livre était d'une intelligence folle. C'est que derrière la farce, Jehanne est le porte-étendard de Yo, de Veleda, de Tomoe Gozen, de Timoclée, d'Isabeau hell-no, de Seh-Dong-Hong-Beh, de toutes ces Guérillères qui veulent un nom dans l'histoire. Alors, elles feront l'histoire avec leurs coutelas, leur rage et leur audace sans faille. Féministe ce roman d'aventures jehannesques, une pournillade fourmillante et jouissive qui donne des envies de partir au combat et de chanter la langue du boutoiement !

Le sacrifice ultime et brûlant de ta neuve pimpance ! Oui, que sais-tu après tout du destin des prophétesses et des femmes puissantes... mes années d'enseignement ne t'ont donc rien appris de valable ? — Tout le monde meurt à la fin. —Parfaitement, my dear. C'est même la définition de la véritable Sainteté ici-bas. Pour estre saint, il faut être occis, et tragiquement qui plus est. (...) Je te fais pleinement confiance pour éviter le mariement et continuer tienne vie sans jamais approcher de husband ; mais pour le reste ?

Complètement nutjobé ce récit, original, inventif, plein de peps de rap et qui, feu sur la place du Vieux-Marché, ne prend pas le lecteur pour un benêt. C'est de plus en plus rare, sweetheart. Il a une autre grande qualité, c'est son ambition. Il faut prendre de sacrés risques pour écrire un tel roman. Lebrun est en plus à la hauteur. Ce troisième livre jubilatoire est sa geste héroïque. Un ovni puissamment drôle, qu'on relit et qui rafraîchit. C'est même un petit miracle. Il parvient à nous faire croire aux visions de la petite Jehanne (on vous laisse en découvrir la teneur) mais surtout, à force d'entendre Guillaume Lebrun écrire aussi bien, on finit par croire aux élucubrations de la littérature, à sa très sérieuse couillonnerie. Un grand bravo-heaume Monsieur Lebrun !

                                                                                                                                                                     

grosses Fantaisies Guérillères tordantes, MY NAME IS GUI—LLAU—ME    LE–BRUN  AND I AM FROM LE NOEUD,  Christian Bourgois nutjobé, août 1431-2022, 310 batailles de comprenette et biblerie p., 20,50€ les visions

Commentaires

  1. Superbe critique qui résume parfaitement ce roman très jouissif !!!

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  2. En effet, excellent bouquin ! Merci à vous.

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