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La Maison, Emma Becker (Flammarion)

    Quand le sexe est un business. Intrigué par ce bouquin et sa démarche courageuse, je n'en garderai finalement rien en tête, tout juste une scène, quelques analyses et dialogues saisissants au milieu du bavardage. Ma lecture a ressemblé à ce passage où Emma Becker évoque son impuissance à décrire cette maison close de Berlin, un bordel qui est devenue sa Maison, entre magie des lieux et fantasmes aux puces : quatre pages d'un ennui profond où je ne réussis pas à visualiser ce qu'elle tente de décrire malgré la précision calculée des mots. Le style, ou une voix plutôt, il n'y a guère. Une écriture plutôt lâchée, certes plaisante dans son rythme, vive et à l'os. Sans fard et directe. Mais d'une oralité sans relief passées quelques pages. 


Je n'en attendais rien mais j'étais curieux de lire ce qu'on pouvait tirer de cette expérience gonzo, passer deux ans comme prostituée dans un bordel et vivre une forme d'émancipation (ce que dit Emma Becker) : les hommes, les femmes qui ne sont pas seulement des prostituées ou des clients, des victimes ou des prédateurs, mais des mères et des pères de famille, des gens paumés ou parfaitement sensés. Il y a des gros porcs qui bandent mou et des fantasmes, disons, baroques. Des travailleurs et des impuissants... Si intérêt il peut y avoir, ce sont ces portraits de femmes attachantes, pleines de bonté ou d'abnégation, fortes ou fragiles et remplies de mystère, ainsi que l'absence de parti-pris à mon sens (qui est aussi un problème). Emma Becker n'est pas là pour juger ou moraliser le propos mais, comme l'anthropologue, préfère observer ses soeurs et ses frères pour voir ce qu'ils ont à lui dire de ces vies passées entre quatre murs à satisfaire des besoins, des envies ou désirs. À en donner et à en prendre.
À quoi bon ? Comment puis-je écrire des choses humaines, drôles ou attendries sur ce métier, dans une maison où l'on a dépouillé le sexe de tous ses affects pour le réduire à une friction purement mécanique ? Cet endroit est une partie de la vérité, mais c'est loin d'être la plus intéressante.
           Fraternelle et pathétique humanité, une profonde bienveillance le dispute au minable, le danger à une tendresse sans limite. Pas de vision étriquée ou gratuitement glauque mais l'envie de mieux comprendre ce qui se joue dans les alcôves, au-delà des fantasmes torves et d'une humanité en mal de caresses et de sentiments. Aucun angélisme, aucun moralisme mais pour dire quoi ? L'humour bienvenu masque mal l'absence d'un propos plus fort sur la féminité par exemple. Alors oui la sexualité et la manière de la vivre peuvent être un problème, d'une façon ou d'une autre. Certains viennent chercher un peu de réconfort, apaiser leurs tensions, d'autres veulent arrondir leurs fins de mois ou n'ont que ça pour vivre. Des trajectoires complexes. Mais ensuite ? On donne du plaisir et de l'amour dans les bordels, comme cette narratrice joyeuse d'être là, qui vit de brèves grâces, inquiète ou triste à d'autres moments. Oui il y a parfois un peu de joie, ça existe dans un bordel, à tel point qu'on en oublierait presque le tarif sous la plume de Becker. On aime certains clients mais on ne s'y attache pas. Il ne faut pas. Il y a de la violence aussi, beaucoup dans la prostitution (p. 276). Les actes et leur description intéressent moins dans La Maison que ce qu'ils peuvent dire du monde et des gens. De leur humanité sans misérabilisme. Mais là, honnêtement, au-delà de l'expérience, je ne vois pas quoi en dire de plus. A aucun moment ce livre ne m'a dérangé, il m'a même plutôt scotché dans certaines scènes, trop rares dans cet océan de 400 pages.
Pute n'est pas tant un métier, en fait, qu'un accord pris un jour avec soi-même : la décision de déplacer la notion d'affect accrochée au sexe et de s'en moquer.
    La scène à trois avec l'escort russe me paraît la plus significative, la plus forte : à la fois drôle dans son ton, ridicule et puissante, elle offre l'image d'un désir bancal avec sa représentation hygiéniste quand, quelque part tout de même, un peu d'odeur et d'amour résiste. La suite de l'expérience dans le bordel me paraît répéter cette scène sans jamais atteindre son degré de réalisme, sa véracité.

Un bouquin jamais sulfureux, fort heureusement, mais finalement bien long pour dire pas grand-chose sur le désir, les sentiments et le monde tel qu'il va. Assez ennuyeux et dispensable.
                                                                                                                              
La Maison, Emma Becker, Flammarion, septembre 2019, 

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