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Pacifique, Stéphanie Hochet (Rivages)

Sacrifice aveugle ? La question du libre-arbitre au temps de Pearl Harbour et d'une défaite militaire à venir à la fin de la Seconde Guerre mondiale, vue du Japon impérial. On suit l'itinéraire d'un Kikusui, les "chrysanthèmes flottants", nom donné au sacrifice d'un avion et de son pilote sur un navire ennemi. Le soldat Kaneda n'a d'abord aucun doute sur sa capacité à remplir sa mission. Il en est même fier ou il le croit. Mélange d'émotions ou de sentiments à l'approche du grand piqué : calme, sous tension, impatient, effrayé ou pétrifié, la décision puis le doute, mordant et de plus en plus envahissant. Il croit que sa mort n'a pas d'importance. Il doit juste accomplir un destin qui le dépasse, celui de l'intérêt collectif et national. Le sien.


Mais c'est oublier la famille, les proches, les siens. Que devient le bushido à l'heure d'une mort annoncée ? Car c'est étonnant mais Kaneda vit la conscience d'une mort à venir. S'interroge. Il l'accepte comme un devoir, une source de fierté. Librement consenti ? Ce qui le fait tenir, c'est un code moral, l'amour d'une mère, la pression du groupe, l'effort physique qui devient la meilleure manière d'éprouver la sensation de vie. Il se nourrit de culture occidentale et latine, se frotte à Shakespeare, Marc-Aurèle et Ovide dans les pas d'un guide instruit, et même de philosophie bouddhiste. La première partie plante le décor et nous familiarise sans lourdeur documentaire avec ce Japon en guerre, via sa culture et ses valeurs. C'est intéressant, à l'appui d'une écriture directe, sobre et ciselée. La deuxième partie en revanche, les années d'étude et de formation, est peut-être la moins convaincante car peu vraisemblable. On sent la remise en question venir à la lumière d'un autre regard sur le monde, une pièce de Shakespeare comme une étincelle ("je me perçois comme le spectateur d'un miracle auquel rien ne me destine. Je m'assombris un peu plus"), comme une prise de conscience. Un homme autant passionné de batailles que de littérature et de théâtre.
La concentration à son maximum donne au geste une puissance solennelle, je deviens l'avion. L'excitation qui suit n'est comparable à rien de ce qui existe sur terre. La métamorphose en machine d'acier procure une jouissance criminelle.
Puis vient une dernière partie qui donne tout son sens au livre et dont il ne faut pas chercher bien loin l'origine  (le titre ?). Étonnante, bien vue et légère — car il n'y a pas de suspense hein, un kamikaze meurt et c'est tout...— elle donne la profondeur au récit qui fait un pas de côté et transforme la quête.  De la contrainte impériale, on passe à l'élan individuel pour donner un sens à ce qui n'en avait pas. On voulait s'écraser mais on va s'envoler. En toute sérénité.
Plaisant en raison de sa forme, courte et sans prétention, ce livre de Stéphanie Hochet séduit par sa discrète ambition, d'une belle solennité. Caresser le flottement, aimer la paresse, l'absence de désir. Flotter entre deux eaux, se noyer dans le ciel. Comme trouver sa voie. 
Pacifiquement.
                                                                                                                                                
Pacifique, Stéphanie Hochet, Rivages, mars 2020, 142 p., 16€.

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