Je ne connais pas l'oeuvre de Mathieu Larnaudie mais j'ai ressenti ce "Blockhaus", à tort ou à raison, comme une pause littéraire et contemplative. On se pose face au rivage, on observe le va-et-vient de la marée et des gens, les sacs et ressacs de l'histoire entre un Débarquement de GIs et un débarquement de représentants politiques, des vieilles gloires et des vieux briscards comme des revenants. Un livre entre deux livres ? Je l'ignore et si j'ai d'abord trouvé ce livre un peu mou du genou, il m'a finalement reposé. Comme on s'installe pour boire un vieux whisky sur le zinc. Je m'y suis bercé, m'y suis baigné. Il est bon parfois de savoir ralentir, se poser.
Surtout, j'y ai découvert une prose attentive aux formes terrestres et aux variations de nos errances, à ces falaises et ces plages d'un autre âge, chargées de symboles et de sens. Une façon de convoquer une imagerie un peu délavée et un imaginaire fécond pour en interroger les racines brumeuses, entre les vapeurs éthyliques et l'odeur d'écume fraîche. Disons-le, je suis en revanche passé à côté de ces personnages, ce couple bancal et cet ivrogne maladroit, des fantômes trop transparents, privés d'échos. Alors vous me direz que c'est le principe d'un fantôme, d'être transparent, de dialoguer avec le passé. Oui, ok. Alors réellement invisibles à l'oeil et à l'esprit. Ils ne m'ont pas dit grand-chose des paysages et de leur histoire, leur présence ne m'a pas hanté. Ils étaient juste sur le côté, même pas des avatars, flânant et flottant sur les bords de mer comme des ombres lointaines.
J'ai largement préféré la dérive psychogéographique, les déviations océaniques. C'est d'ailleurs pour cela qu'Inculte est l'un de mes éditeurs fétiches. Ce rapport charnel et sensuel aux paysages qui ont toujours quelque chose à dire de notre aliénation coutumière. Suis-je là où je suis ou est-ce que j'appartiens sans le savoir aux espaces traversés, d'une manière ou d'une autre. À leur histoire, à leur imagerie dans un dialogue du sensible et du connu, de l'image et de la perception. La porosité entre les êtres et leur environnement matériel. Toujours une affaire de représentation et de mise en scène. La Normandie, c'est le refuge des Parisiens, un morceau de bravoure dans l'histoire, un lieu mystérieux qui disparaît dans un mot évocateur. Arromanches, le Mur de l'Atlantique, les blockhaus, les résidences secondaires et l'architecture parfois kitsch. On regarde et on s'en amuse, on écrit au point d'en faire un sujet de livre. L'autopsie des vestiges d'un monde qui réconforte (?). Juste des simagrées de reconstitution historique, de vagues stèles de rappel, des carapaces de béton badigeonnées de graffitis.
Désormais, posters et cartes postales avaient pris le relais de la ronde de la mémoire, et se rappelaient les boys. Toute l'imagerie imprimée et placardée aux murs exposait ce souvenir à la vue de leurs petits-enfants, venus du Canada et du Massachusetts, lesquels, en voyant ces images, sentaient que leurs grands-pères ne s'étaient pas battus pour rien — et voilà comment de pauvres diables devenaient des héros.
C'était peut-être une intention du livre mais je n'ai ressenti aucune tension sourde, n'ai vu aucun espace pour l'inattendu. Est-ce vraiment un problème ? On y lit toujours ce qu'on veut y lire. Pas vraiment d'ambiance étrange pour ma part, une atmosphère plutôt douce, presque réconfortante, même la nuit.
Livre qui me convainc à moitié, peut-être, mais réussi dans sa façon de m'interpeler par son écriture qui sculpte la phrase pour tenter de cerner "l'esprit du lieu", qui tente de saisir ce qui résiste et ce qui meut, dans un même élan de précision et de mystère. Comme une pause musicale — je parle des mots et du rythme langoureux de la prose — une contemplation douce et apaisante, une retraite silencieuse, loin du fracas guerrier.
Un livre pour apprécier les vaporeux arômes de la Manche.
Blockhaus, Mathieu Larnaudie, Inculte, mars 2020, 112 p., 13.90€
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