Il m'arrive de lire de la littérature hongroise certes. Des mots imprononçables et des noms illisibles, on en trouve à la pelle. Mais alors là, en Pologne, c'est pas mal non plus. Le pauvre lecteur français que je suis a bien galéré avec tous ces noms peuplés de "z", de "jcie", "zkie". Allez, avec moi : Hajduszkiewicz, Jankowski, Borzestowski... Renata, Olga, Magda et Mortka, et même le Kub (ça en jette ça), c'est plus simple. Passée cette difficulté autochtone, on se plonge dans une cité cossue de Varsovie, petite gated community où vient de se produire un meurtre. Allez savoir pourquoi, quand je visualisais la cité des rêves, je m'imaginais une barre d'immeuble stalinienne, décrépite, aux murs sales, égarée en ex-URSS. Les clichés et les préjugés ont la vie dure. Car cette petite élite polonaise coincée dans son Paradis blanc a sans doute quelques secrets à garder. Suzanna Latkowska est donc morte, violée et poignardée vraisemblablement, tandis qu'une Ukrainienne vient se livrer aux flics pour tout avouer. Ça semble trop gros...
Je découvre l'univers de Wojciech Chmielarz et ma foi, on est dans un noir bien troussé, pas tapageur où les intentions et les rêves ont la consistance des illusions. Violences faites aux femmes, racisme et rivalités,—la Pologne et l'Ukraine, ça ressemble à un match PSG-OM —corruption, drogue et ambitions ridicules dessinent un monde de faux-semblants, comme un jeu de dupes dont tout le monde est bien conscient. Vouloir être journaliste au 21e siècle ? Dénoncer les mafieux et les violeurs ? Monter des start-up ? Trouver des coupables ? Essaye toujours...
La Cité des rêves, de l'imprononçable Wojciech Chmielarz, traduction de Erik Veaux, l'exotique Agullo éditions, février 2020, 384 p., 22€.
En Angleterre, ils ont de l'argent, tempéra l'inspecteur. Nous, on travaille en Pologne.Au-delà d'une intrigue toujours prenante où les figurants semblent avoir un temps de retard sur ce qu'il faudrait comprendre, ce roman semble vouloir jouer sur un autre terrain. Entre bain d'opulence et misère généralisée, décrire les errements d'une société où tout va trop vite, l'enrichissement et les compromissions qui aveuglent, avec des êtres un peu paumés qui jouent tout sur tapis vert. Les flics les plus brillants sont aussi les plus violents et le Kub, comme la Sèche, ont le charisme des personnages à la rage tapie, aveugle, qu'il faut bien exprimer d'une manière ou d'une autre. Je n'ai pas lu les autres aventures du Kub mais on me dit qu'il s'est assagi. Peut-être, je le ressens en tout cas, comme s'il essayait de contenir des principes impossibles à mettre en oeuvre. Un roman qui tient en partie à sa galerie de personnage gonflée de testostérone, sans verser dans la caricature et sans jamais en faire trop. Les femmes y sont nombreuses et n'ont pas toujours, loin de là, le rôle de victimes. Bel équilibre des tempéraments et des tableaux. Dans ce monde interlope où les politiques ont des potes un peu partout, où toutes les sphères se chevauchent, chacun a quelque chose à se reprocher ou entretient des liens douteux avec son voisin. Un jour ou l'autre, ils finissent par vous revenir en pleine face. Certains personnages sont pathétiques comme Celtycki, d'autres ont le look de l'armoire à glace,— Mieszko—, où sont en lutte avec leurs fantômes (Kochan). Tous à vrai dire.
Les gens avaient oublié qu'après six années de guerre et quarante-cinq ans de communisme, ce malheureux pays n'était plus en état de fonctionner. Tout s'y était déglinguer aux limites de l'impossible (...). Ficelé à l'aide de ces ficelles qui manquaient tellement pour lier les bottes de blé au moment de la moisson (...). Et sans lesquelles ce vaste bordel qui avait pour nom Pologne populaire se serait disloqué en une gigantesque catastrophe.Avec un suspense sans esbroufe et un regard social sur un pays émergent, ce roman sait tracer son sillon en noir et blanc, parsemé ici ou là de rouge carmin. La couleur de la chair ouverte et des fantômes qui ne cessent de nous traquer jusqu'au seuil de la mort. Allez, buvez votre lampée de noir.
La Cité des rêves, de l'imprononçable Wojciech Chmielarz, traduction de Erik Veaux, l'exotique Agullo éditions, février 2020, 384 p., 22€.
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