Premier roman, nous dit-on, qui au bout de quelques phrases aimante déjà le coeur de son lecteur, tourné vers du son et du sens, en vers et contre tout. Car si le texte m'a interpelé d'une façon ou d'une autre, c'est d'abord par son écriture étudiée, d'une envoûtante musicalité. Les mots y sont brefs, les phrases sur la brèche. Texte incisif, au cordeau, rythme syncopé, urgence de nommer la tendresse, la détresse, la douceur et les pleurs. Car tout commence par la mise en bière de la mère, touchée à la fin de sa vie par Alzheimer, la mère devenue une Alzhei-mère. Et c'est toute une mémoire familiale qui resurgit par la voix du fils, pour dénouer les fils des ascendances et descendances. Des histoires emmêlées avec des imposteurs, des beaux parleurs et des violeurs, des petites filles sacrifiées et des fils rejetés, des femmes qui veulent effacer et oublier. Qui veulent sourire même si les rires disent parfois les souvenirs privés d'amour. Aimer, vraiment, c'est un métier.
Au moment de l'enterrement, le fils disparaît aussi sous la terre, sans paroles, sans pensées. Il lui faut exhumer la vérité de sa mère pour comprendre la sienne. Des sourires de façade qui trahissent une existence fade, désertée par l'amour, rongée par le manque d'amour. Souffrir de ne pas assez aimer, souffrir de n'être pas assez aimée malgré une riche lignée, quatre enfants, trois garçons et une fille. Mais des tuberculoses et des petites névroses viennent nuancer le tableau bancal. Famille dissymétrique, souvenirs d'une trajectoire teintée de déboires, de mystères à percer et questionner. Sans élucider toujours les âmes solitaires, les emportements et les lassitudes d'une mère au passé fragmentaire et lézardé. À enchaîner les malheurs d'une mère, Emmanuel Chaussade flirte avec le misérabilisme d'une vie sculptée dans l'abandon, le rejet et les visions binaires de ceux qui se sont mal choisis. Les bourgeois contre les prolos, les gens de peu face aux cyniques respectables qui ont tout puisqu'ils ont l'argent et peuvent tout se permettre. Seul bémol d'un livre assez hypnotique qui, en ses fins, sait creuser la nature d'une relation mère-fils ambiguë. Fils-réceptacle de parole, recueil d'une histoire qu'on assemble comme un puzzle, avec ses interprétations et ses failles, ses silences éternels incapables de combler le manque d'amour. Un très bel effort littéraire où le monde aime si mal, de travers ou à l'envers, sur le prix de la liberté et ce que l'on est condamné à aimer. Alors Emmanuel Chaussade leur oppose ou en épouse son amour des mots choisis, des assonances fécondes et des rimes qui disent les humeurs furibondes ou les états vagabonds, la vieillesse vengeresse aussi quand la confession se double d'un oubli lent et profond. Et si la vérité heurte, les vivants lui opposeront la folie, maladie bien pratique à l'heure de faire les comptes, quand les secrets ont été enterrés six pieds sous terre.
La mère lui a toujours dit qu'elle avant rencontré le grand-père avant le père. Au début le fils ne fait pas attention à son air entendu. "J'ai connu ton grand-père avant ton père." Comme si elle voulait lui faire passer un message capital.
Les mères sont aussi des femmes et des filles parfois abandonnées. Bel éloge d'un fils envers sa mère qu'il aime comme il peut, bien, mal, trop, en restituant sa vérité à partir d'impressions, de sensations et d'un vécu finalement dévêtu à l'heure des dernières pelletées de terre noire. Livre assez puissant, qui claque et craque par sa force narrative, dont on relit certains passages pour apprécier la musique des mots et cette relation en tous points émouvante. Un livre à entendre et ressentir plus qu'à voir. Élégie d'une douce mélodie.
Elle, la mère, Emmanuel Chaussade, éditions de Minuit, janvier 2021, 94 p., 12€
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