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Presqu'îles, Yan Lespoux (Agullo)

Esprit barbecue et cueillette des champignons, surf et cabane à chichis dans le sud-ouest. On y croise des gonzes, des couillons, des chasseurs, des petits malfrats, des Parisiens, des voyous vengeurs, des Bordelais, des noyés, des Toulousains, des pinèdes, des Charentais, des racistes et des dunes. Presqu'îles, recueil de nouvelles signé Yan Lespoux, inaugure une collection petit format chez Agullo, avec un petit prix et deux cents pages de soleil couchant ancrées dans les terres du Médoc, souvent avinées, il faut bien le dire. C'est aussi l'esprit roman noir et c'est d'ailleurs Hervé Le Corre qui signe la préface. Joli programme qui, pour une double entrée matière, réussit son coup. Pour l'éditeur d'une part, qui parie sur un genre qu'on dit peu vendable. Pour l'auteur d'autre part, dont c'est le premier effort littéraire au long cours. On déguste ces presqu'îles par petits bouts, on approche leurs rivages ensablés et alcoolisés. On rit, on s'apitoie et on se dit : "Mais quelle bande de couillons !" "Ah les fripons !" On est aussi ému par ces tranches de vie mises en miroir d'une géographie vécue et rêvée, fantasmée parfois. 

Il faut saluer la vista de Yan Lespoux à poser des ambiances en quelques lignes, à tisser des relations infimes entre les lieux et les personnages, à construire ses nouvelles sur des échos et des humeurs. Qu'il décrive un jour de grâce, la cueillette des champignons ou des larcins foireux, l'auteur saisit avec une acuité rare les petites mesquineries des locaux ou des touristes, des péquenauds et des ivrognes avec une jolie cruauté. Sorte de peintre des crépuscules, naturaliste des attitudes veules et maladroites, l'auteur s'amuse et s'enfonce avec amour dans ce territoire du sud pour en exhumer toutes les saveurs. Son écriture a du chien et l'ironie glissée dans chaque phrase est là autant pour capter l'air du temps que pointer les médiocrités ordinaires, dessiner des espaces et les inventer. Je crois que jusque-là les critiques n'ont pas assez insisté sur le rôle de la végétation dans ces presqu'îles (je plaisante à moitié). Moi qui ne connais rien au sud-ouest sinon par les livres, j'ai eu l'impression d'emprunter les mêmes sentiers et de me retrouver au milieu de dunes surprenantes, de pinèdes étonnantes et de sapinières tordantes. Ce recueil est autant une affaire de situations que de géographie. Yan Lespoux, c'est une évidence, aime planter le décor à grand renfort de pins, de chênes verts, d'arbousiers et de quelques buissons de brande. Plus loin on distingue un bouquet de genêts et même des souches de vieux pins arrachées, des aoubès, des ajoncs... Et j'oublie d'évoquer la faune indigène. On prend un peu ce qu'on veut dans ces textes bien troussés, péchus et vitaminés, rythmés par des dialogues vivants, qui claquent comme il faut. Et c'est peu dire que l'auteur maîtrise l'art de la chute cinglante, physique et narrative.

Il n'est pas d'ici. C'est un peu un Parisien —d'ailleurs on l'appelle parfois comme ça — ou un Bordelais. Mais en pire.  C'est l'Écolo.

Presqu'îles, au pluriel, esquisse ce lien fragile entre la terre et la mer, entre les lieux et les hommes grâce à une attention toute particulière portée aux paysages, aux ambiances, aux tempéraments et textures du Médoc, entre effluves et sables fins, comme le va-et-vient entre le nécessaire exil (les potes, la plage, les étrangers, les vacances) et l'inexorable retour à soi. L'écriture de Yan Lespoux est cet isthme qui relie nos solitudes et tisse les mélancolies terrestres dans un malin jeu de renvois entre les nouvelles. Si les textes font ensuite écho en nous à ce point, c'est peut-être que la mélancolie a besoin d'un ancrage territorial pour exister, comme le souvenir d'un Paradis perdu à fixer par les mots. Phrase pompeuse pour évoquer ce qu'il reste de l'enfance. Ce lien est fragile et bien souvent l'auteur flirte avec les dangereuses baïnes pour mieux retrouver l'estran. Ou pas. Parfois, les hommes se noient, c'est le quotidien cruel d'une plage. Les presqu'îles, c'est une mosaïque d'identités et de terroirs que la succession de nouvelles s'attache à recomposer sans jamais tout à fait y parvenir. Nous sommes tous pareils et si différents en même temps. Impossible d'ailleurs de nommer les personnages, souvent désignés par leur origine géographique. On est toujours l'étranger d'un autre. C'est un fait, nous appartenons d'abord à une terre. Malheur à ceux qui n'en ont pas. 

Mais il sait que le temps joue pour lui. Un jour, ils vont s'habituer à lui et ils devront bien l'écouter. Parce qu'il a raison, bien sûr, mais aussi parce que c'est comme ça : au bout d'un moment les gens sont obligés de vous considérer comme un membre de la communauté. Ça n'est qu'une question de temps. Il faut être encore un peu patient. Après tout, il n'habite ici que depuis trente ans.

Une fois le recueil fermé, on a l'impression que tout est à sa place. Touché. On a beaucoup ri de cet humour noir ou à froid, on s'est laissé bercer par cette écriture en riffs, on a bien bu entre bons vivants et on s'est fait quelques potes malgré les galères. Une belle longueur en bouche, un filet doux-amer qui persiste et rend la mélancolie plaisante, chaleureuse. D'une bienveillante cruauté aussi où toute l'ironie de la vie se dessine, qui puise dans une imagerie de souvenirs de vacances ou dans une rubrique faits divers de Sud Ouest. Dans l'invention d'une communauté au filtre de ses turpitudes apparaît finalement un espace vécu et rêvé, un lieu où projeter nos solitudes, où mirer des liens invisibles mais bien réels.

                                                                                                                                                                   

Presqu'îles, Yan Lespoux, Agullo, janvier 2021, 185 p., 11,90€

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