Un P.L.U. en couverture, des friches à exploiter, une gentrification à bâtons rompus, des fleuves corsetant une ville en mutation, des promoteurs gloutons et un monde qui disparaît, remplacé par une étrange modernité et, il faut bien le dire, un peu ridicule, faite de magasins bio et de hipster. Ce livre, pour les géographes que nous sommes, avait sur le papier tout pour nous séduire. Un peu de sociologie urbaine et une mélancolie née d'envies rapaces d'aménagements. La rénovation comme un mantra. Mais le traitement nous a moins convaincus.
On suit d'abord la vie de Paul Valadon, vieil aigri atteint du syndrome de Diogène et reclus chez lui. Barricadé même, misanthrope de son état, qui prophétise l'effondrement à venir. La compagnie des autres humains lui est insupportable. A une époque d'indifférence généralisée et d'anonymat citadin, il fait pourtant l'objet de toutes les attentions. Théo, agent immobilier, doit mettre la main sur sa vieille bicoque dans le cadre d'une vaste opération d'urbanisme visant le rajeunissement de l'ancien quartier des cheminots. Mais l'homme est tenace, entre en résistance façon Gaulois de Touraine, recroquevillé dans sa coquille parmi chiens et chat — ses seuls vrais amis— et entouré par un amoncellement d'ordures — l'époque est à l'économie. Deux quartiers coincés entre deux fleuves, la Fuye et la Varenne, sous la menace d'une rénovation à marche forcée. On voit la critique : des quartiers entiers boboïsés, la stupide mode du vegan/bio, la destruction d'une mémoire, l'indifférence cultivée, l'entre-soi qui exclut, l'impossible mixité sociale et le cynisme des spéculateurs. Les passages sur les dynamiques urbaines sont intéressants - la ville est un personnage à part entière - et le livre est plutôt bien écrit. Quand la ville a voix au chapitre, les descriptions minutieuses révèlent une belle lucidité sur le monde (urbain) tel qu'il va, ses dynamiques marchandes vecteur de casse et son marketing urbain catalyseur de péremption sociale. Tendre le miroir des villes en mutation pour mieux sonder le désastre qui nous guette.
Ce n'était pas Mai 68 qui avait tué l'autorité, mais Internet. En quelques années l'ordre des générations s'était inversé en une rencontre amusée entre adolescents et adultes, où ces derniers apparaissaient plus que jamais comme des vieux cons perdus dans la modernité.
On sent un peu d'ironie moqueuse à l'endroit de tous ces personnages. Mais à part deux petites vieilles peut-être, et Louise, qui exerce un noble métier, on n'en garde aucun en mémoire. Car le portrait de Malick est convenu, comme ceux du marchand de bien ou de la copine de Louise. Théo, pantin d'un promoteur cynique cristallisant l'appétit financier et indifférent à autrui, tangue, disparaît et traverse le livre comme il se noierait dans le fleuve. Des personnages à l'humanité un peu molle, sans relief, ni vraiment antipathiques ni tout à fait sympathiques. Même le vieux Paul qu'on aurait voulu trouver un peu drôle nous exaspère jusqu'au bout. Des personnages qu'on aurait voulu plus typés, évolutifs. Pas grand-chose ensuite : une histoire de famille qui n'aboutit à presque rien — un déménagement à Rennes — couplée à une disparition peu vraisemblable et un gros caprice de dame-nature valant par le regard médiatique qu'il fait naître. La forme chorale du livre en prend alors un coup : l'écho des voix s'apparentant au bruit du fond un peu terne d'une ville à la dérive.
Il y avait quelques heures agitées, on se croisait dans les RTT. Le centre devait donner l'idée d'un empressement, d'une agitation féconde, de cette noblesse contemporaine qui met la vitesse en majesté.
Moralité de l'histoire : Vouloir effacer un passé urbain et une mémoire locale à coups de pelleteuse ne pouvait déboucher que sur une catastrophe, image foudroyante d'une nature en colère, sans pitié pour les oublieux. Prends ça, hipster en carton ! Une histoire de résistance, pourquoi pas. Mais insuffisante ici pour réellement nous enthousiasmer. Dommage.
L'Embâcle, Sylvie Dazy, Le Dilettante, mars 2019, 218 pages, 18€
L'Embâcle, Sylvie Dazy, Le Dilettante, mars 2019, 218 pages, 18€
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