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La Mort et autres jours de fête, Marci Vogel (Do éditions)

Une année de poèmes en prose, album photo qui procède par petites tranches de vie. Une année en décalage horaire rythmée par les quatre saisons de la vie et de la mort, le deuil et les ruptures, les alliances de circonstance et les petits riens immenses. Mais le printemps est le moment où tout peut s'effondrer comme l'hiver fait les renaissances. Décalage horaire et saisons inversées : April perd ses proches au printemps mais tente de renouer avec le monde par les rencontres en hiver, attentive aux anecdotes du quotidien.




La Mort et autres jours de fêtes n'est pas un livre qui a fabriqué des images fortes dans mon esprit. Il m'a ému comme je regarde un vieil album de photos de famille, plein de clichés qui disent un miracle, celui du renouveau. Je me suis donc plutôt laissé prendre par l'ambiance, d'une chaleur ouatée. Ses mots sont de l'eau qui glisse entre les doigts, qui vous caressent et vous bercent. Il m'a fait le même effet que le récent Bleuets de Maggie Nelson. À la fois badin et profond, il m'a enveloppé dans sa douceur, sa fragile lucidité. Pas d'histoire linéaire mais un carpaccio d'émotions qui avance par fragments, bribes, impressions et pensées diffuses. Dans une mélancolie presque rêveuse, Marci Vogel brosse des tableaux d'irréalité où le feu des peines est neutralisé par la langueur d'une journée qui débute, à l'image de cette splendide couverture où la réalité faite de palmiers géants nous assomme tout en laissant voir le ciel. On savoure les tableaux d'un Turner californien, où les couleurs palpitent dans la douceur de l'aube, où ça vibre dans des bains de calme. Livre d'atmosphère où je me laisse porter par le rythme et la bizarrerie railleuse d'un souvenir. Comme une vague sereine qui m'emporte.
Un livre qui dit moins le deuil, encore une fois, qu'une façon de s'y confronter, en une philosophie de l'acceptation, l'écriture pour diluer tout ce qui peut se révéler pesant. On le lit comme un album photo sépia, un album en noir et blanc où les sourires diraient l'ironie, des sensations nébuleuses mais inoubliables.
Et si ce n'était pas une question de volonté, mais de souffrance ?
On y fait l'expérience de la perte et du lien, rebattus par les rencontres et les disparitions. On doute, on hésite et on panse ses blessures avec des mots, du temps et des silences.
Un livre emballé dans une discrète solennité, qui a le charme des ambiances feutrées, de la pudeur des sentiments. Le temps de la vacance esquissé par des parenthèses attentives au sort de chacun, aux gestes et aux regards dans un assemblage de vignettes. Il suffit d'une phrase, d'une question et le temps s'arrête, suspendu aux souvenirs qu'on reformule. La voix évolue dans un bain de douceur où la légèreté vient neutraliser tout glissement vers le pathos. Délicate ironie envers l'existence qui est à elle-même sa propre ironie, absurde et magnifique.
On roule beaucoup. On n'a pas de destination précise, on roule tout simplement. C'est l'impression que ça donne, en tout cas.
Se laisser porter, se laisser traverser par de belles tragédies, plus conscient de l'endroit où nous sommes. On s'y love comme on s'y égare dans ces hivers californiens peuplés d'anges et de fantômes. Une façon de renoncer à la perfection, d'accueillir ce que nous sommes, ce que l'être humain a de plus vulnérable, de plus empathique. Un livre qui apaise les âmes. Un livre qui en révèle les éclats. Un livre pour être chez soi et se sentir bien. Un livre qui fait sa fête à la mort, cette montagne invisible qui nous écrase de son absurdité. Toujours avec le sourire. Un texte émouvant de délicatesse, qui célèbre la vie avec des moyens minimalistes. Bref, on aime le repos.
                                                                                                                                                           
La Mort et autres jours de fête, Marci Vogel, traduit par Marie Chabin, Do éditions, mars 2020, 167p., 17€.

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