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Perdre Claire, Camille Ruiz (Publienet)

 Un journal de deuil en vers libre, dédié à son amie Claire disparue trop tôt, à 27 ans, toujours trop tôt, c'est ce que propose Camille Ruiz, en 117 pages émouvantes. Journal de deuil, oui, mais album photo aussi (au figuré comme au propre) fait d'instantanés en mouvement, des chansons pop, lis-je sur le site de l'éditeur (je n'y avais pas pas pensé), morceaux choisis et tranches de vie, moins pour faire le portrait de son amie Claire que de se rappeler des contextes, des détails et surtout un lien qu'on voudrait indéfectible, par-delà la mort.

Peut-on d'ailleurs se rappeler quelqu'un ? Quête impossible. Tout juste des bribes de souvenirs, des fragments d'existence, des moments à deux ou à plusieurs, et des paroles rapportées sur qui elle pouvait être, sur la part de mystère qu'elle renfermait et que renferme tout être humain. Nous sommes tous des énigmes, semble nous dire le livre, les uns pour les autres mais rien de grave, il reste les mots pour tenter d'approcher une lumière, une chaleur, un élan.

Voir son amie mourir, c'est aussi partir soi-même, un peu. Une partie de nous s'en va à jamais dans les villes traversées, le sable foulé. Mais laquelle ? Ici, les souvenirs vont finir par se confondre avec les rêves, et fusionner peut-être, jusqu'à disparaître. Les phrases et la musique (du poème), alors, pour retenir ce qui nous reste d'une relation, d'une image, d'un mouvement, d'une posture, d'une attitude. D'un corps maigre, bien trop maigre. Inutile de décrire, suggérer suffit. Camille Ruiz évoque par petites touches son amie Claire, pour brosser un portrait flouté où l'on sent, en filigrane, une forme de sidération calme. De tristesse bien sûr, lancinante. Deuil de ce qui ne sera plus jamais. La tristesse de ceux qui commençaient à la connaître, à l'aimer même. 

Je ne sais plus pourquoi les larmes me viennent / ni sur quelle mort je pleure / le soir je me rappelle que j'aime danser / et j'hésite je ne sais pas quoi choisir / entre danser, pleurer / nous nous réunissons avec en nous toutes ces choses graves / on peut les poser sur une chaise comme des manteaux  / elles nous regardent / le lendemain on va voir la mer / à Saint-Malo sur la plage / la tristesse de mes amies / me parvient par vagues

Capturer des bouts de Claire, de ses cheveux blonds, rassembler quelques pièces du puzzle inachevé. La part de mystère qui nous résiste. Moins comprendre qu'évoquer, se rappeler, fixer sur le papier ce qui peut, ce qui devrait rester dans l'épure de la langue : des mots simples, des phrases simples, des images simples, mais d'une infinie poésie. Qu'est-ce qui, dans un texte, émeut ? Je n'ai toujours pas la réponse à cette question. Perdre Claire en est une, car c'est un livre sur la manière d'écrire le deuil. L'écriture se doit d'être fragile, délicate, sur un fil qui s'appelle le doute. L'auteure s'inquiète, constate, sans se lamenter, jamais. "Mais c'est trop tard. Je ne saurai jamais". Est-ce si grave en présence des mots, dans la conscience de cette ignorance ? Laisser partir, et accepter.

Écrire enfin, c'est toujours aussi l'impression de tordre le réel, pour en livrer sa pure vérité ou, au contraire, l'adapter à nos désirs. Une projection de nos envies, souhaits, obsessions et hantises. Fixer et diluer les peurs.Tordre le réel, c'est aussi trahir. Mais trahir quoi, quand l'image de départ n'est pas fixe, ou réelle elle-même ? L'auteure a peut-être ressenti cette double culpabilité, de l'écriture et de la présence : pourquoi elle et pas moi, les autres ? Encore plus, j'imagine, quand l'être cher a disparu. Un repère qui s'envole, qui n'a plus droit à la parole. Ce n'est donc pas un hommage, mais bien une tentative de remembrance, avec ses parts d'ombre et ses lumières humaines, sa folle tendresse. Pas de pleurs forcés mais le récit simple d'une bouleversante amitié, une poésie du lien nourrie d'incertitudes. Les souvenirs et les rêves ont fusionné pour donner naissance à un livre. Un très beau livre sur le chagrin, gorgé de soleils.

                                                                                                                                                                 

Perdre Claire, Camille Ruiz, Publienet, août 2021, 117 p., 13€

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