Satires... ça tire toujours des larmes un livre d'Edgar Hilsenrath. Et quand on sait que c'est le dernier, ça en tire encore plus. Puis des larmes de rire, aussi, car l'Edgar était un clown triste, hanté par la Shoah et la figure du nazi. Hanté par le retour au pays, homme aux racines floues et arrachées, une identité pétrie dans la langue et l'écriture, des pays où être chez soi quand on vous a tout pris. Sauf l'humour, sauf une folle tendresse pour ses personnages, sauf l'ironie, sauf le rire désespéré. Puisque ce monde n'a aucun sens, il convient d'en souligner l'absurde logique, le grotesque, dans des dialogues cinglants où Hilsenrath s'amuse autant qu'il dégomme, invente des mondes autant qu'il les détruits. Ce livre, c'est l'Allemagne vue par l'exilé, celui qui écrit en allemand mais ne comprend plus ce pays peuplé de nazis croupissants, de veuves déboussolées et de travailleurs immigrés qui ne comprennent pas un mot de la langue du pays d'accueil. Qui n'ont que leur force de travail à offrir.
Je vis dans le pays que ceux de l'autre côté appellent l'autre Allemagne. Comme je souffre d'une maladie contagieuse, en l'occurence l'envie de voyager, et que récemment j'ai voulu aller me baigner à l'Ouest libre, j'ai été arrêté. On m'a menotté et on m'a dit que dans mon cas particulier, seul le mâtre-nageur était compétent.
Edgar Hilsenrath fut peut-être inconsolable. Mais son goût de la provoc, mêlé à un humour noir sans limite et une lucidité inégalée, le hissent parmi les plus grands écrivains qui ont écrit sur la Shoah, tant l'ambition littéraire fut grande (relisez Nuit ou Le Nazi et le Barbier). Edgar Hilsenrath restera à jamais mon vieux pote, celui avec lequel je continuerai à me marrer, à pleurer, en relisant ses livres. Ses bouquins aux couleurs fluo sont là, à droite de mon lit, à mi-hauteur. Je les aperçois quand je m'endors, pleins de couleurs et de motifs originaux. Ils sont là, ils me protègent et m'apaisent. La nuit. Le jour. Pour toujours. Je sais que, quelque part, entre les États-Unis et l'Allemagne, un type aura su écrire, comme peu, sur les ambiguïtés de l'âme humaine, ses fulgurances salutaires, ses errances mortifères. La place de Edgar Hilsenrath, ce n'était donc ni l'Allemagne ni les Etats-Unis, mais bien la littérature. "Non. Je n'ai rien regretté". À une prochaine l'ami !
Satires, Edgar Hilsenrath, Le Tripode, septembre 2021, 140 p., 16€
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