Deuxième roman de la rentrée chroniqué sur L'Espadon : "Peine perdue", signé Kent, ancien chanteur de Starshooter. Un livre doux-amer sur les renoncements entretenus par un musicien, qui fait le point sur sa vie après le décès de sa femme dans un accident de voiture. D'une touchante lucidité.
Sans préavis, Karen (ou K-Reine
dans le monde du street art, « princesse
déclarée des façades ») meurt dans un banal accident de voiture. Quand
il l’apprend, Vincent, son mari, ne dit rien. Sans voix, sec, comme anesthésié
par la nouvelle. « Il marche dans
une couche de ouate », et poursuit sa vie, presque indifférent au
tragique de la situation. C’est que Vincent n’éprouve rien, semble-t-il.
« Aucun effondrement, juste une
mélancolie brumeuse qui, à la manière d’un doux clapot, lui léchait les rives
de l’âme ». Et, puisqu’il faut bien vivre, Vincent,
musicien-mercenaire, part en tournée avec la star du moment Kévin Dornan. Un
travail peinard. L’occasion de repenser à cette vie d’avant, traversée par un
automate engoncé dans sa carapace cynique, vautré dans ses certitudes et son aigreur moqueuse. Et de savoir, une bonne fois pour toutes, qui se
cache derrière les renoncements et les lâchetés…
Joli roman signé Kent,
ancien chanteur du groupe Starshooter. Bercée par la mélancolie, cette romance en
creux – ou récit de la crise de milieu de vie - dessine une histoire de
faux-semblants. Déni de décès ? Vanité ? Absence de sentiments ?
Confort d’une vie bourgeoise ? Vincent, intoxiqué au désamour et dépossédé de lui-même, veut comprendre. Si l’accident
de Karen a figé le présent dans une molle dépression, il crée paradoxalement les conditions d’un
renouveau. Car l'absence est féconde. Car désormais la vie infuse en lui, se manifeste par des insomnies,
des fantômes sur l’oreiller, le souffle court. Il multiplie les
expériences en rejouant le personnage qu'il a été : tournée à succès, coïts mécaniques au bout de "nuits grises", rencontres
avec Sonia, Manou et Betty, sport en salle, discussions avec les potes, « branleurs sympathiques », dans une
« moelleuse pesanteur ». Tentatives
vaines pour tromper l’indolence chronique, jusqu’au surprenant et touchant
final. Entre-temps Vincent retrouve de l’allant et réalise
qu’il s’est peut-être trompé. Sur son talent, l’amour que lui porte Karen et le
regard des autres : pas tous cyniques et parfois sincères. « Le mystificateur était démasqué » !
©Yannick Perrin |
Drapée d'une sensibilité amère, l’écriture lucide et imagée aiguise des analyses bien senties. Sur les relations à l’heure d’Internet, le monde de la musique et son cynisme assassin (où il faut manier « la langue de pute ») et la méprise sur soi. Une remise à plat, un bilan de milieu de vie comme le joli pied de nez à la résignation cultivée. Mais sans illusions sur la modernité et son horizon du vide, à l’image de ces salles de concert standardisées des banlieues françaises, vagues entrepôts de bord de route.
Plus on avance dans la lecture, plus on aime ce livre
désenchanté (sauf la couverture!). Car Vincent renaît, brise son armure d’indifférence,
débusque les postures et finit par renoncer, un peu, à ses mensonges, vaincu
par la musique, par Karen, et son « opiniâtreté
ingénue ». Malgré le temps qui passe et l’usure des corps, des
cœurs, reste un grain d’illusion. Un bon tonneau d’amertume aussi, celle des
occasions manquées. Car à quoi bon aimer quand il ne reste que
l’absence ? « A quoi bon
s’échiner à la quête du Graal dans un monde avide de médiocrité » ?
Peine perdue… (4/5)
Peine perdue, Kent, Le Dilettante, janvier 2019, 17 €
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