Oubliez les bons sentiments et entrez dans le réel. C'est la proposition de Faux départ, signé Marion Messina. Une vraie claque littéraire en 2017, de nature à faire déprimer les dépressifs. C'est l'histoire d'Aurélie Lejeune, une fille qui croit dur comme fer qu'elle va trouver sa voie, grimper l'échelle sociale, elle la petite provinciale vivant dans sa banlieue grenobloise. L'école et la vie en général lui ont fait miroiter des trucs dépassés : la culture pour tous avec un grand C, une romance exotique avec Alejandro, un boulot confortable. Elle enchaînera plutôt les jobs précaires — hôtesse volante à La Défense, femme de ménage —, se lèvera à 5h du mat' et monnayera une cage à lapin en plein Paris contre un peu d'attention.
Le réel dans toute sa brutalité, sa violence sourde, sa musique indolore. L'écriture est clinique, glaçante car posée, absolument détachée de tout pathos, avec en fond cette petite ironie à froid. Pas d'effet, juste des topoï en italique, les mots usés jusqu'à la corde d'un quotidien aliénant. La vie dans toute sa nudité, les effets de la mondialisation, le déclinisme moral. Faux départ est truffé de phrases lucides et n'est pas, comme on l'écrit souvent, un précis de sociologie. C'est avant tout le grand roman d'une France de fin de siècle — ou de début de millénaire —avec ses dynamiques amères : perte des illusions, panne de l'ascenseur social —a-t-il jamais existé ?—l'absence de perspective et la misère financière.
Elle se sentait coincée entre un milieu ouvrier peu curieux, corvéable à merci, respectueux, soumis et craintif et une classe moyenne abêtie, déliquescente, qui semblait impatiente de liquider le peu de dignité sociale et intellectuelle dont elle aurait pu hériter.
Si le livre est si réussi, c'est qu'il parvient avec une effarante concision à capter cet air du temps fait de médiocrité intellectuelle, de petits boulots, de misère sociale et affective. En un mot, la précarité. Celle d'une jeunesse perdue, d'une classe moyenne en perte de vitesse, ou l'individualisme triomphant comme doux renoncement aux espoirs collectifs. Faux départ n'évite pas le glauque et le sordide lorsque Aurélie Lejeune, armée d'un cynisme destructeur, finit par oublier tout romantisme pour se contenter de subvenir à son existence. Mais a-t-elle vraiment le choix ? La chronique d'un monde marchand sans pitié où chacun se débat comme il peut, comme le miroir cruel d'une inertie encouragée et sans élan possible. Une inertie de classe, pesanteur voulue des reproductions sociales. Pour des lendemains désenchantés.
Un livre cinglant qui fend le cœur et habite pour longtemps notre âme de damné. Et cette dernière phrase, comme un couperet, qui dit tout. Une vie terminée avant d'avoir commencé.
Faux départ, Marion Messina, Le Dilettante, août 2017, 220 pages, 17 €
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