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Mrs Fletcher ou les tribulations d'une M.I.L.F. Tom Perrotta (Fleuve) ★★★☆☆


     Après les deux claques de la rentrée (Arcueil et Dans la forêt du hameau de Hardt), il nous fallait lecture plus légère. Mission remplie avec « Mrs. Fletcher ou les tribulations d’une M.I.L.F. », pudiquement traduit par « mère sexuellement très attirante », signé de l’auteur américain Tom Perrotta, déjà connu de nos services pour « Professeur d’abstinence » et du grand public pour « Les Disparus de Mapleton » (adapté en série, The Leftovers). Un titre aguicheur mais un brin trompeur, dans le bon sens d’ailleurs !




  


     Il est donc question d’une quadra désœuvrée, Eve Fletcher, divorcée et orpheline de son fils Brendan, parti rejoindre les bancs de l’université voisine. La voilà en proie à la solitude et contrainte de prendre les choses en main. Addiction au porno sur la toile, flirt lesbien, retour à une vie d’étudiante, ambiguïté avec les collègues de travail… La presque-quinqua croise une foule de personnages, des cisgenres, des jeunes geek, des qui boivent et roulent des mécaniques, des vieux touchants, des artisans et s’interroge sur le sens à donner à sa vie lorsqu'elle reçoit cet étonnant texto : "Tu es ma M.I.L.F. !"… La bonne vieille crise de la quarantaine !


« Trois photos montraient Brendan torse nu, avec des lunettes de soleil. Il faisait partie de ces crétins musclés qui prenaient la pose sans aucune ironie. »


    Flirtant avec les clichés et feignant la légèreté, Tom Perrotta livre en fait la chronique ordinaire des suburbs américains, qui charrie tout un tas de questions existentielles. Si l’on suit les aventures d’une vraie-fausse M.I.L.F., c’est pour mieux observer les dynamiques sous-jacentes à l’œuvre : vieillesse, deuil, isolement, anonymat citadin, autisme, recompositions familiales et bien sûr l’éternelle question de l’identité sexuelle et sociale (voir la transgenre Margo Fairchild) dans une ambiance à mi-chemin entre « gender studies » et campus novel. On voit ainsi une foule bigarrée, traitée avec empathie ou délicieuse cruauté, des tendres aux loser et égarés, sans oublier ceux que l’on aimera détester (sacré Brendan !). Un cocktail souvent amusant.


« Une énergie nerveuse l’habitait, le sentiment tenace et fébrile qu’elle devait être ailleurs, qu’il y avait autre chose, quelque chose d’urgent et d’important à faire. Mais c’était ça le hic : elle n’avait nulle part où aller, elle n’avait rien à faire. »


       Ne cédant jamais aux facilités de son sujet pour le tirer plus loin en fait, Tom Perrotta se fait chroniqueur drôle et grave, saisissant avec une rare acuité ce que l’on imagine être la réalité d’une middle-class américaine un peu paumée, entre solitude et identité instable. Pour un résultat d’une touchante justesse. Bien vu !

                                                                                                                       
Mrs. Fletcher ou les tribulations d'une M.I.L.F., 
Tom Perrotta , Fleuve Éditions, janvier 2019, 387 p., 20.90 €. 

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