C'est un premier roman signé Sol
Elias, avec un sujet délicat, la schizophrénie. Très délicat même. Saluons déjà la prise de risque.
Anaël, "jeune et fringant", vit dans l'ombre de Michel, un père autoritaire et humiliant, et Bonnie, une mère aimante mais éteinte. Les fugues, les colères, les virées avec Djelloul. Une vie pas heureuse mais presque ordinaire. Plus tard, Anaël est Manuel, quadra avachi, abruti par le Tranxène avalé, grossi par les litres de Coca Cola ingurgité et rongé de l'intérieur par les Gauloises, cinq paquets par jour. En fait "Bibendum" est mort à 28 ans, le 14 juillet 1976, jour du "diagnostic intangible" : étiqueté schizo. La tentative de suicide n'était qu'un détail...
Anaël, "jeune et fringant", vit dans l'ombre de Michel, un père autoritaire et humiliant, et Bonnie, une mère aimante mais éteinte. Les fugues, les colères, les virées avec Djelloul. Une vie pas heureuse mais presque ordinaire. Plus tard, Anaël est Manuel, quadra avachi, abruti par le Tranxène avalé, grossi par les litres de Coca Cola ingurgité et rongé de l'intérieur par les Gauloises, cinq paquets par jour. En fait "Bibendum" est mort à 28 ans, le 14 juillet 1976, jour du "diagnostic intangible" : étiqueté schizo. La tentative de suicide n'était qu'un détail...
"Nous portons tous nos fantômes, la vraie question est de savoir jusqu'où nous pouvons coexister avec eux sans qu'ils nous dévorent".
Au-delà d'une écriture plutôt
neutre à même de faire naître l’émotion, sans pathos et sans artifice, la
force du livre est son dispositif narratif, une linéarité cassée, perturbée, entre Anaël
conjugué au passé et Manuel malade au présent. Image d'une dissonance existentielle, reflet d’un chaos
mental et d'une vie en apnée "suspendue entre la réalité, la
pensée, les dialogues (...)". Tentative de saisir ce basculement, d'Anaël le "p'tit pédé" (dixit le père) vers Manuel le schizo répudié. Tête de
tambour tisse un fil tendu entre la norme et la marge, d'autant
plus fragile que Manuel est conscient d'être ce qu'il est, un concept d'irréalité. C'est bien le problème, Manuel s'enlise dans la cave, impuissant à
dominer le mal, à en trouver l’origine, famille et médecins compris. Comme un être informe malgré la "monstruosité visible". Il y a
dans ce livre un art de l’ellipse et de la fragmentation très réussi, miroir
suggestif d'un corps en lente décomposition, fleuve nourricier de pensées morbides
hésitant entre folie et rationalité. Beaucoup de questions donc, sans réponse, car le problème est insondable : la maladie est-elle affaire
d'hérédité ? Comment casser l'infernale répétition du schéma familial ? Pour le
dire simplement, les familles de fous enfantent-elles des fous ? La question
des racines et des origines aussi, ferment de tout rejet. En résulte une manière d'être au monde. Être entre-deux-mondes, littéralement nulle part. L'image d'un pestiféré dont on accepte tout pourvu qu'il s'éloigne...
“Maman, pourquoi m’as-tu fait fêlé ?
—…
— Pourquoi m’as-tu fait si sensible ?”
Le plus beau, le plus troublant dans ce roman — outre le fait d’être captif d’un monde sans issue,
c'est son échec à comprendre ce basculement, à percer le mystère de névroses
qui fermentent dans le berceau familial. Tout juste une montagne de petits papiers, saturés
de ratures, de couleurs mélangées et de bribes de phrases, tableau baroque d'une
souffrance sans nom. Dans cette jungle de gribouillis, comment trouver un sens ? Est-ce
seulement utile ?
Reste finalement, et
c'est le plus poignant, la relation complice entre un oncle et sa nièce,
symptôme d'une résilience de l'amour par delà la marge. Soledad, à
jamais...
(3/5)
(3/5)
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