C'est l'histoire d'Irwin Semple,
autrefois ado disgracieux et difforme, bouc-émissaire du charismatique Harold
Hunt et de sa bande au lycée, qui a passé 18 ans de sa vie en hôpital
psychiatrique. A 35 ans, il tente de se réinsérer, de trouver du boulot et de
se faire des amis. Qu'a-t-il bien pu se passer entretemps ?
Ados, Hunt, Rattner et les autres
traînaient dans les cafés du coin, le Kitty Creamery, et la resserre au fond
des bois. Des lieux où l'on ne fait pas grand-chose sinon s'ennuyer, exclure et
consommer. Mais qui
et quoi ? Clair-obscur est donc la touchante histoire d'Irwin Semple, un
attardé incapable de communiquer. Il souffre en silence, s'exprime par
borborygmes sans jamais réussir à nouer des liens forts. Seulement avec une
femme qui, fascinée par sa laideur, le veut absolument dans son lit. Par
besoin, pas par amour. Histoire d'une jeunesse perdue, volée, passée entre
ennui et brimades. Echappe-t-on jamais à sa condition ? Clair-obscur
est aussi semble-t-il un récit des frustrations accumulées, d'une rage
incommunicable. Harold Hunt, beau gosse du lycée à qui rien ne résiste, se
heurte pourtant à un écueil : Carole, sa splendide petite amie, qui refuse de
coucher avec lui. Harold se consolera (se vengera ?) avec une fille amoureuse
de lui dans la resserre des bois, là où de jeunes hommes défilent pour se
soulager. Jusqu'à la scène-choc, creuset de toutes les névroses. La boule de
billard dans la bouche de Semple n'était qu'un petit amusement de bourreau pour
son souffre-douleur préféré.
(...) ce qui lui était arrivé à lui, Semple, était manifestement si violent que cela lui déchirait l'âme, et ce qui émergerait du carnage serait bien obligé de continuer à vivre (...);
Le plus frappant dans ce deuxième
roman de Don Carpenter, disparu en 1995 et dont les livres paraissent dans le
désordre en France, c'est cette façon de décrire l'horreur, d'une sourde
cruauté, avec un détachement froid donnant à voir la violence des rapports
sociaux dans leur version la plus nue, la plus crue qui soit. En fond de
toile, le désespoir bien sûr, brossant des existences sans horizon et sans
rédemption possible, mais l'humanité aussi de personnages hantés qui s'agitent
dans un bocal avec leur folie intérieure, leurs déceptions, errant dans un
monde qui leur refusera le salut. Beaucoup de noirceur et une détresse
silencieuse, quelques rayons d'humanité aussi, des sentiments à fleur de peau
et leur puissance destructrice. Clair-obscur (Blade of Light
en anglais) est une histoire de fantômes, de douleur et de détresse mêlées de
bienveillance par un écrivain qui a tout compris des hommes et des femmes. Un
roman court et percutant, noir et touchant, qui fait aussi mal qu'une boule de
billard enfoncée dans la bouche.
Clair-obscur, Don
Carpenter, Cambourakis, janvier 2019, 208 pages,
20 €
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