Retour en de brefs mots sur un chef-d'oeuvre, Red or dead, signé David Peace. Lu voilà cinq ans en VO — on vous conseille cette version, anglais très simple et lisible—, il fait partie de ces livres qui vous restent en mémoire pour toujours.
Pour "héros", Bill Shankly, l'entraîneur mythique des Reds des années 60, le Messie de la Mersey venu au monde le jour où, étranglé par la ferveur d'Anfield, il foulait une pelouse digne des plus grands exploits. Red or dead raconte la légende d'un club, dit la passion chevillée au cœur d'une ville empêtrée dans la déprise industrielle. Bill Shankly, c'est l'homme de poigne, dur, intransigeant, obsédé par l'exigence du travail bien fait. Un leader au charisme électrique, capable de sublimer une équipe dont la somme des individualités s'efface derrière l'horizon du collectif. Une ville, un club et un homme œuvrant pour un destin plus grand qu'eux. C'est aussi l'éternel retour du travail, de l'idée du travail à mener vers la victoire. Bill ne pense qu'à ça, jour et nuit, s'isole tel l'inventeur fou en quête de l'étincelle à même de faire basculer une vie ordinaire dans le sublime. Au prix d'une exigence obsessionnelle, Liverpool enfilera les titres avant de connaître une ascension fulgurante. Il passe pour un mégalo, démiurge moderne d'une réussite contrôlée et totalitaire, mais Bill Shankly est avant tout homme modeste, issu du peuple et de la classe ouvrière. Il s'est forgé dans les luttes et la conscience du nécessaire labeur pour s'en sortir. Homme ordinaire, adulé comme un dieu par les supporters. L'homme est visionnaire, anticipe, a compris l'importance de maîtriser les détails. Et croit surtout à l'impossible.
You've got to fight back. If you can't fight back, there is nothing for you (...). Bill shook his head. And Bill said, No way. Not giving in is the thing. So you've got to try and fight it. I know that it is easy to talk and unemployment is a terrible thing. But you've got to try and fight it.
Il fallait oser cette écriture totalement minimale, virtuose et hypnotique, pour entrer dans le cœur et l'esprit de Bill, cheminer aux côtés de ce mystique solitaire, façon plans rapprochés. Pour saisir le refus du compromis, l'absence de renoncement. Un hymne d'une musicalité de métronome. La répétition comme motif d'écriture, la litanie de scores, de classements, de points, de noms, de résumés, de dates, d'attitudes, de tactiques, de gestes... Une écriture à plat, à niveau d'homme, comme une prière murmurée dans l'obscurité d'une cuisine bercée par le silence. Un mantra sur rectangle vert, pour se convaincre soi et les autres, d'une vérité vérifiée dans la gagne. Un match âpre comme une lutte des classes sans fin, rejouée par le populo fervent, vibrant au son du Never Walk Alone. L'itinéraire d'un homme au caractère trempé dans l'acier mais d'une humanité infinie. L'histoire est en marche, le mythe s'écrit sous nos yeux fascinés.
On good Friday, 1964, Liverpool Football Club travelled to White Hart Lane, London. That Good Friday, the gates at White Hart Lane were closed an hour before kick-off. That Friday, fifty-six thousand, nine-hundred and fifty-two folk came to White Hart Lane, London. And on Good Friday, 1964, just before the half-hour, Liverpool Football Club broke out defence.
Red or dead, ce n'est pas du foot mais une question de vie. Et de mort. Pas moins. Et bien plus encore. La ferveur monomaniaque d'un homme qui a consacré sa vie à une passion : la victoire sinon rien. A un métier, bâtisseur d'hommes en quête d'absolu, de pureté tactique. Le livre de l'éternel recommencement. Une Odyssée, Une Prière, une Légende. Vibrantes, à en pleurer.
Red or Dead (Rouge ou mort), David Peace, août 2014 pour la VF chez Rivages, 800 pages !, 13.50 €
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