Parmi les lectures marquantes de L'Espadon cette année, Dans la forêt du hameau de Hardt figure tout en haut. Premier roman d'un jeune auteur au potentiel sans limite, ce troublant monologue vous embarque dans la psyché d'un homme incapable d'exprimer ce qui l'obsède. Sinon par à-coups. Coup de maître et tour de force littéraire, ce "thriller psychologique" n'a pas fini de nous hanter. De nous émouvoir (hein Richter ?). Curieux, L'Espadon a donc voulu s'engouffrer un peu plus loin dans ces lisières mentales en donnant la voix à son Liéchi...
Question anecdote : pourquoi avoir écrit La Forêt du hameau de Hardt à la
main ?
Je crois
que chaque roman essaie de naître d’une façon différente du précédent, comme si
chaque roman voulait inventer une formule inédite, qui lui soit propre, comme
une formule magique ou alchimique. J’imagine qu’il y a, dans le choix de
l’écriture à la main ou à l’ordinateur, dans celui du moment – tôt le matin,
tard le soir… –, ou encore du lieu ou de la pièce où l’on écrit, l’espoir de
trouver une combinaison heureuse pour qu’émerge une voix.
J’imagine
aussi qu’un romancier, quand il a trouvé sa voix, – celle qu’il veut garder –,
reproduira, de façon presque fétichiste, les conditions qui lui avaient permis
de la faire naître.
J’ai
écrit à la main Dans la forêt du hameau
de Hardt comme l’on éprouve de façon empirique et en l’associant à
d’autres, une nouvelle façon d’écrire. Je voulais voir.
Et j’ai
trouvé, avec le papier et le stylo, comme une loupe pour mieux cerner et mieux
observer mon personnage, ainsi qu’un fil – qui, à l’ordinateur et dans mon cas,
se rompt facilement – que je n’ai pas lâché, qui ne s’est pas rompu, qui s’est
déroulé jusqu’à la fin, et que j’ai tissé et retissé jusqu’à obtenir le roman.
Question géographie : quels liens entretenez-vous
avec la Calabre, l’Allemagne (ou la forêt de Hardt) et Dunkerque ?
Ce sont
les lieux de mon premier roman : ils sont donc magiques, un peu sacrés
même, et représentent, pour moi, comme un alignement parfait des planètes.
Décaler l’intrigue de quelques kilomètres, aller de la Calabre aux Pouilles, de
la Forêt-Noire aux Vosges, et le roman s’effondrerait peut-être.
Je ne
suis jamais allé en Allemagne, ni à Dunkerque. Mais je connais la Calabre, et
j’ai roulé sur cette route où l’on voit des corps noirs allongés sur le
bas-côté de la route. Ce sont des prostituées qui attendent sous un soleil de
plomb, sur une route où presque personne ne passe. En sortant de Naples, elles
sont encore debout, mais ici, dans le sud, elles se couchent par terre et
attendent, les yeux fermés ou fixés sur le ciel. J’imagine qu’elles écoutent le
bruit des moteurs qui approchent, qui ralentissent ou accélèrent.
Maintenant,
le roman fait écran à mes souvenirs : je ne sais plus à quoi ressemblait
vraiment cette route, si bien qu’il ne me reste, en tête, que l’image que j’ai
créée – ou recréée – à partir de la réalité.
L’Italie
est un pays que j’aime profondément, c’est le pays des sens et du corps. Comme
dans le roman, sur cette route de Calabre, tout y est vécu par le prisme du
corps.
A contrario, l’Allemagne est, dans mon esprit – et cela est dû à mes lectures : Thomas
Mann, Thomas Bernhard, Karl Kraus… –, aux antipodes : elle représente
l’esprit, l’intelligence raisonneuse et la philosophie qui parlent du corps
pour mieux le dominer.
Dans ma
géographie intérieure, les deux pays sont sur des continents différents. Leur
seul point commun est la forêt, forêt d’arbres étouffante en Allemagne, forêt
de corps, de jambes et de mollets en Calabre.
Question psychologie : que représente la forêt
pour vous ?
La
forêt est littéraire. Elle est d’abord un décor de conte de fées, un lieu de
mauvaises rencontres, de monstres et de lutins. Elle est aussi, dans les romans
de Chrétien de Troyes, ce qui échappe aux normes et à l’autorité de la ville, elle
est un lieu hors-la-loi, où l’homme retrouve et joue à plein de sa sauvagerie.
Elle représente enfin cette vaste étendue obscure de l’âme humaine,
l’inconscient en psychanalyse, où l’on rencontre, quand on s’y aventure – parce
que tout est aventure quand on entre dans une forêt –, l’étrange et, surtout,
l’étranger, c’est-à-dire soi-même.
Tout
est mêlé dans le roman, Freud, les fées, les bêtes féroces, car la forêt est ce
qui se trouve de l’autre côté de notre frontière humaine et sociale.
Etymologiquement, elle est un dehors
(du latin fors, foris), un étranger (fors donnera foreign en
anglais).
Pénétrer
dans une forêt est donc un danger que l’on prend, et que le personnage du roman
prend aussi en choisissant d’habiter à la lisière de la forêt de Hardt, la
tenant malgré tout à distance, répugnant d’y pénétrer, y pénétrant quand même,
pour mieux explorer son âme, sombrer et (s’)en sortir.
Question personnelle : quelle part de vous
avez-vous mis dans le bouquin?
Fanny
Ardant dit qu’elle aime mentir. Moi aussi. Alors je dirais que tous les
personnages du roman sont inventés.
Question professeur : trois conseils pour écrire
un premier roman ?
1/ Ecrire
est de l’ordre de la distillation. On crée du nouveau en transformant de
l’ancien. Il faut lire pour écrire, et lire beaucoup, car c’est une
distillation à très faible rendement!
2/ Ecrire
un deuxième, un troisième, un quatrième, un cinquième roman, et ainsi de suite,
jusqu’à parvenir à écrire, un jour, longtemps après, son véritable premier
roman.
3/ Et
puis oublier tous les conseils.
Question culture : pouvez-nous nous conseiller
deux livres (ou auteurs), un film, une librairie et une expo ?
- Il
faut lire Où je suis d’Orly
Castel-Bloom et Guerre et guerre de
László Krasznahorkai.
- Il
faut regarder The Hours de Stephen
Daldry
- Il
faut se rendre dans la librairie d’Andreas, à Angers, Myriagone.
- Il faut aller à la Biennale de Venise
Merci Grégory Le Floch ! Que l'on retrouvera bientôt sur L'Espadon...
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