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Quitter Psagot, Yonatan Berg (L'Antilope)

Passionnant livre sur l'identité et la mémoire, Quitter Psagot plonge dans l'univers d'une colonie juive de Cisjordanie peuplée de Juifs pratiquants, à travers les yeux d'un homme qui se souvient de ses jeunes années, tiraillé entre des pratiques religieuses étouffantes et le désir de s'ouvrir à d'autres espaces. Psagot, cet îlot de liberté et de radicalité en territoire arabe, près du village d'Al-Bireh. Si le livre intéresse, au-delà des analyses, c'est d'abord par sa superbe écriture et l'excellente traduction de Laurence Sendrowicz, parfaites pour dessiner les contours flous des présences arabes et juives, mélange de fascination et de haine réciproques, de fermeture et d'envie d'exil, de peur de mourir et de volonté de domination.

Dans toute implantation, il y a une face qui suscite la honte ou la peur et une autre qui libère la respiration et fascine le regard. Cette opposition est révélatrice de la contradiction de l'entreprise : un violent désir de normalité, une volonté de s'inscrire dans le cadre naturel, bien imbriqué dans son environnement (que l'on évitera de gêner) et, a contrario, l'obligation de regarder en permanence derrière son dos, en direction d'un lieu inconnu, dont on ignore la langue, dont on ne pourra jamais faire partie —ce qu'on ne veut d'ailleurs pas.


En décalage avec l'esprit de l'implantation, Yonatan Berg décrit une présence en porte-à-faux. Ses parents décident de s'y installer quand il a quatre ans. Si la base militaire ou le terrain de foot le fascinent, comme ce village interdit où la virilité trouvera à s'exprimer, c'est d'abord par les images d'ailleurs qu'elles convoquent. Il est attiré par ce qu'il ne voit pas et refuse cette radicalité de la foi imposée à des pratiquants par procuration. Le calme sévère dans la yeshiva, l'ambiance austère d'une salle de classe durant la prière. La ferveur messianique, très peu pour l'auteur. Il préfère les paysages ou les images nées dans son esprit à partir des lectures. La grande force de ce récit, c'est de parvenir à restituer la confusion, la complexité et l'ambivalence de la réalité des colonies. Aucune complaisance, des critiques mais aussi de la nostalgie à l'heure d'évoquer cette enfance/adolescence qui l'ont construit. Le poids des imaginaires et la violence de la réalité, une façon de mettre à distance la confusion des sentiments, les ressorts de la colonisation et l'extrémisme politique ou religieux dans lesquels il a baigné. Une immersion dans les contradictions de l'appartenance, de l'héritage et son arrachement par l'écriture et ses représentations. Car au fond, ce livre est aussi une façon de "tuer le père" pour l'auteur, une manière de s'arracher à son milieu, aux siens, sans jamais tout à fait y parvenir. Un déchirement même. Les drogues, les fêtes, le sexe deviennent alors les exutoires tout aussi radicaux d'une fuite en avant. C'est bien la schizophrénie de la vie dans une colonie qui est montrée ici et à travers elle, la conscience collective d'un pays qui s'aveugle sur ses ennemis, réels ou imaginaires. C'est bien cet aveuglement, semble-t-il, que Yonatan Berg tente de rendre lisible, devenu adulte, et la façon dont son rapport à l'autre s'est construit. Pour comprendre d'où il vient, qui il est et pourquoi il faudrait ne jamais revenir. Un récit d'émancipation, parfois répétitif, qui est aussi un formidable documentaire imprégné d'une belle subjectivité. Une grille de lecture intéressante, le corps coupable, spirituel et physique, les refoulements liés à l'autorité qui s'expriment dans des injections de violence.

Ces trajets m'ont profondément marqué, ils ont laissé en moi une empreinte contradictoire, où la peur et l'angoisse se mêlaient à la curiosité et l'émerveillement.

Psagot, un refuge, un Paradis perdu où l'on étouffe, où l'on a peur, où l'on se croit fort dans l'isolement et la croyance en la légitimité d'une lutte. Un livre en forme de retour au pays et d'une possible renaissance. Écrire pour se trouver, se retrouver, inventer une spiritualité capable d'adoucir le rapport à l'autre et à soi. Un livre d'une grande sensibilité, où les doutes et les peurs dessinent une identité contradictoire portée par le mouvement et les questions. Un livre pour quitter Psagot, définitivement (?). Émouvant, et passionnant. 

                                                                                                                                                                  

Quitter Psagot, Yonatan Berg, L'Antilope, janvier 2021, 255 p., 22€

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