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Le Roman de Jim, Pierric Bailly (P.O.L)

 Toujours un  grand plaisir de retrouver les livres de Pierric Bailly, auteur que L'Espadon suit depuis Polichinelle en 2008. On était resté sur le tonitruant Les Enfants des autres, histoire de couple, de famille et de père aussi, déjà. Le Roman de Jim chasse sur les mêmes terres jurassiennes, près de Saint-Claude et des lacets de Septmoncel avant une petite échappée du côté des Lyonnais et Lyonnaises. L'histoire d'un père par procuration de 25 ans, Aymeric, qui rencontre une femme de 40 ans enceinte mais célibataire, Florence. Passé par la case prison et un peu loser sur les bords, trop gentil et faible, Aymeric va s'attacher au petit Jim et donné un nouvel élan à une existence un peu morne faite d'intérim, de CDD, de petits boulots et de balades au crêt de Chalam...


Allez, Pierric Bailly n'est peut-être pas le plus grand styliste (encore que, ça se discute, écriture sur un fil entre apparence de grande banalité et précision d'orfèvre, la prose suit la pensée d'Aymeric et sa vision du monde, de lui-même), mais ce n'est pas très important puisque l'auteur jurassien réussit toujours là où beaucoup d'autres échouent. Créer des émotions simples, puissantes avec des personnages absolument touchants et ordinaires, comme Aymeric, multipliant les échecs mais toujours avec panache. Les Moussières, un des lieux du roman, ça sonne comme poussières et Septmoncel comme c'est mon ciel et mon sel, des monts d'émotions entre un père et un bébé, entre un père et un fils qui n'est pas son fils (vous me suivez ?) mais qu'il aime comme son fils, plus que son propre fils. Situation simple mais inextricable où l'auteur interroge la pertinence de nos choix, les aléas de la vie au miroir d'un contexte spatio-sentimental (ouah le mot composé !). Qu'importe s'ils sont bons ou pas (les choix), tant qu'ils sont déterminés par l'attachement et l'amour qu'on porte aux êtres chers, la question ne se pose plus. Et pourtant, Florence n'est pas la plus sympa des mamans et Aymeric est débonnaire, c'est sa nature, il est comme ça, ne le changez pas. Bancal, maladroit mais un bon gars au fond, gentil et attentionné, le papa rêvé en réalité. Si Aymeric enchaîne les échecs, ou plutôt vit les événements ainsi, Pierric Bailly ne cesse de toucher la cible en plein coeur à chaque livre. L'écriture toujours fluide, aux enjeux clairs et précis, ancrée dans une lose un peu désenchantée — on peut lui trouver des défauts, une oralité presque forcée par moments, des phrases trop lâchées — touche dans le mille sans forcer, c'est aussi simple que cela. L'auteur crée une proximité étonnante, une familiarité jamais en bois avec ces êtres de papier plus vrais que nature. Quand on lit, tout paraît évident et simple mais je crois qu'il n'y a rien de plus dur à faire en littérature. Émouvoir (voir la scène de fin entre le père et Jim). Du coup, Pierric Bailly, romancier assez unique en son genre devient peut-être malgré lui le héraut du Jura et de sa géographie vallonnée, porte-étendard de sa psychogéographie, d'un nature writing à la française. Aux Rousses et à Lamoura, le meilleur promoteur du terroir est peut-être un romancier ! J'y reviens à la fin.

Depuis sa naissance, je ne vivais qu'à travers ce gamin qui n'était pas le mien, je lui avais tout cédé, ce môme avait tout écrasé, il avait annulé chez moi toute ambition professionnelle, il était devenu plus important que tout ce que j'avais connu jusqu'alors, il avait rendu tout le reste sans intérêt.

Trois grandes réussites dans ce livre à mon sens. Le personnage d'Aymeric, touchant perdu qui a connu les barreaux et une possible rédemption par l'amour d'un fils. Un type ordinaire, sans ambition professionnelle, qui aime la photo et les chansons débiles d'Éros Ramazzotti. À travers lui, un bout de la diagonale du vide française, des arbres et des solitudes, rurales ou urbaines, l'occasion pour Pierric Bailly d'évoquer les galériens du matin qui bossent Chez Paul à la gare ou dans un Relais. La France d'en bas, des prolos qui respire la justesse de vue. On s'attache à cet Aymeric et on voudrait bien, au milieu d'aventures amoureuses peu concluantes, qu'il se trouve enfin, à défaut de répondre à des questions insolubles.

Autre grande réussite, bien sûr, la relation entre un père et un fils, d'autant plus forte qu'elle est contrariée et mise à mal par les événements. On sent la solidité du lien qui résiste au temps (sur plus de vingt ans dans le livre), aux aléas, aux désirs contradictoires d'aimer et de ne pas heurter. Le besoin de temps justement pour créer un lien qui se tisse encore plus dans l'absence d'un être fantasmé. 

Florence est partie de chez elle à dix-sept ans, sans aller au bout de son BEP optique-lunetterie au lycée Victor-Bérard de Morez, elle n'en avait rien à foutre des lunettes, elle s'ennuyait à l'internat et elle n'était proche de personne dans sa classe.

Enfin Pierric Bailly nous immerge dans ce Jura des moyennes montagnes, lieu coincé dans ses enracinements et ses perspectives de toute beauté où l'on souffle le chaud et le froid. Lieu qui oppresse et libère tout à la fois, on veut s'y lover autant qu'on veut le rayer de la carte à la faveur des événements d'une vie : une rupture, une promenade, une rencontre, des parties de foot, des souvenirs de famille, une bâtisse qu'on retape. Vallée étriquée, fermée, cloisonnée, paysages ouverts aux sommets. L'enfance et le retour à l'enfance, ce Paradis perdu fait de sapin et de toits en tôle, de lacets et de crêts, de forêts et de lacs gelés, comme si à chaque livre Pierric Bailly éprouvait le besoin de redevenir peu à peu un gars du Jura (p. 190 : être jurassien c'est aussi assumer sa ruralité, "un gars de la campagne"). Mais cet angle mort, l'auteur sait en faire une petite métaphore de l'universel mélancolique en rappelant des noms de grandes surfaces, l'existence du magnétoscope, la bande-son du Parrain... Le Jura, Saint-Claude, cette v-île isolat qui s'incarne dans l'eau bleu turquoise du lac de Vouglans avec ses airs d'île polynésienne (je confirme !). Ajoutez à cela que votre serviteur connaît très bien ces splendides routes pour y avoir explosé le chrono dans Septmoncel (Mevlut Erding est un gars du coin, comme Alexis Vuillermoz, regardez l'étape du Tour de France 2017 lors de laquelle le Français Calméjane l'emporte aux Rousses, ce sont exactement les paysages décrits par P. Bailly dans ce livre) et vous aurez illico envie d'aller découvrir les capitales de la pipe et de la lunetterie.

Oui, encore une fois, j'ai adoré l'écriture et l'histoire proposées par Pierric Bailly. Portée par son flot crépusculaire, une histoire forte sur le besoin schizophrénique d'aimer et d'être aimé, le sentiment paternel et filial, sur la beauté de ce Jura comme une boîte magique, crépusculaire, réservée aux happy few. Le besoin de temps et de solitude aussi, le besoin de contacts. Allez savoir pourquoi, je me sens totalement en phase avec l'univers de Pierric Bailly, auteur fétiche de L'Espadon, toujours d'une magnifique et bienveillante tendresse. Garanti sans miel et sans compter.

                                                                                                                                                                

Le Roman de Jim, de Montréal au Jura, la neige est la même, Pierric Bailly, P.O.L position, mars 2021 sur Mars, 254 p. de forêt et d'amour près de Lamoura, 19€ le prix de trois excellents comté et d'un bleu de Gex

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