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Vendredi poésie #4 : Alexander Dickow, Maczka Hervier

 Acte IV de nos "Vendredi poésie" avec les fragments critiques d'Alexander Dickow, et le récit-essai-poème de Maczka Hervier, fable polymorphe sur l'amitié et les retrouvailles, l'après-Sisyphe.

Déblais, Alexander Dickow, Louise Bottu, janvier 2021, 104 p., 14€

Fragments sur la poésie, la théorie critique, les poètes trop cotés et les poètes aimés, les habitudes et les postures de la poésie contemporaine, ses pouvoirs et ses faiblesses, ce Déblais oscille entre perspectives subjectives et tentatives d'objectivation par l'aphorisme. Un système d'où pourrait naître non pas la vérité mais une vérité. Et il faut bien le dire, j'ai un avantage, ma faible culture poétique qui m'offre un regard frais, attentif et curieux, sans doute partiel. L'auteur apprécie peu les textes de Francis Ponge ("l'antisentimentalisme"), Yves Bonnefoy ("chantre de la plénitude") et Philippe Jaccottet mais invite à la lecture de Gustave Roud, Christine de Pizan, Jean Paulhan. Pourquoi pas, tout est argumenté en des mots simples et clairs. Les spécialistes s'écharperont — ou pas, je m'en fiche —je ne retiens que l'intérêt du point de vue qui m'invite à aller voir par moi-même. Cette faible culture poétique m'a frustré aussi, disons-le, m'empêchant d'apprécier avec plus de finesse des aphorismes assez techniques, de connaisseur. Mais pas de soucis, je vais me mettre boulot car ce Déblais m'a souvent passionné. Par sa forme, courte et percutante, sa manière d'enthousiasmer et de stimuler la réflexion. Ces analyses-éclair me semblent avant tout celles d'un passionné. J'ai ri de l'ironie bien placée et de la drôlerie critique : "Autre tic : le flot entrecoupé de virgules, en bloc sans alinéas. Rendons la lecture plus difficile au lecteur, histoire de." Les passages sur la déponctuation, les échelles de travail (!!! on comprend quel "auteur" on est après ce fragment), le goût pour les malentendus, les techniques, le sens du déséquilibre en littérature, le matériau sont captivantes pour qui écrit (et se pose des questions de forme, de fond), poésie ou roman d'ailleurs. Dickow pointe les tics, les postures, l'intellectualisme, la fausse authenticité et rappelle quelques principes simples de l'effort littéraire. Inutile de répéter tout ce qui est mieux dit par l'auteur, exemple : "Presque n'importe quoi vaut d'être essayé une fois, en art. Malheureusement, la plupart tiennent à tout prix à en répéter l'expérience." Si Dickow rate parfois sa cible, c'est qu'il vise (très) souvent dans le mille. Passionnant, ludique, j'ai matché à 87% (10% pour les fragments flous ou incompris). Si vous préférez l'art-murmure à l'art-mégaphone, cet essai critique est pour vous.

Lettre à un ami heureux aux enfers (récit-essai-poème), Maczka Hervier, éditions Dynastes, février 2021, 13€

Très belle découverte éditoriale avec ce triple récit (roman-essai-poème) pensé comme une fable, un essai et un chant, sorte de "lettre d'aveux, une invitation aux retrouvailles avec l'ami rayonnant de bonheur, un ultime appel à imaginer ensemble l'après-Sisyphe heureux". Là encore, on peut se replonger un peu dans le mythe avant d'entamer la lecture, histoire de savoir, un peu, où l'on met les pieds. Soulignons d'abord la beauté de l'objet, fait main, petit format où l'on sent la passion pour la fabrication artisanale. Esprit DIY à petit prix, l'éditeur évoque un massicotage sur les tables des éditions dynastes. Classieux, élégant, on n'en demande guère plus pour entrer dans notre lecture. Premier très bon point. Le texte ensuite, plutôt les trois textes où l'on sent une belle maîtrise narrative et intellectuelle. Je ne sais si l'auteur, Maczka Hervier, est philosophe de formation ou pas mais l'"Essai sur la crise absurde" est très solide, mettant en perspective la première partie, "Fable du faux sourd", sur des poètes au lycée, l'histoire d'un sourd dans un milieu rock doté d'une sorte d'oreille absolue exclusive : "Je n'entends que la musique parfaitement juste et les paroles des gens tout à fait sincères." Un peu sibyllin aux accents fantastiques, ce premier récit se révèle à la lecture des deux suivants par des jeux d'échos et de perspective, revisitant dans une version moderne et philosophique le mythe de Sisyphe. Le troisième récit, un long chant ou poème dans la pure tradition grecque, "Chant du chien", fredonne les leurres, le théâtre de nos vies et les faux-semblants quand il fait parler une pierre sur le sens de la vie. Bien sûr, l'auteur tisse un fil sur la crête du sens, interrogeant le sens du mythe (dans le mythe, nos actes quotidiens sont dépourvus de significations, le but — un leurre — n'est qu'une façon de supporter sa vacuité) en imaginant d'heureuses retrouvailles même si les images peuvent mentir. "L'absurde, c'est la raison lucide qui constate ses limites." Image d'une condition humaine qui consiste à monter un rocher au sommet d'une montagne, et voué à sans cesse la dévaler". Une écriture très simple et pure pour dire l'absurdité, donc, et la complexité de notre présence sur terre, jamais réductibles aux images d'éternel retour. Une écriture qui résiste au sens et aux projections faciles, capable de vous emmener ailleurs, et des textes qu'on relit pour en percer les malheurs transformés en élans réflexifs vers une autre réalité, plus joyeuse ? Mais il vous faudra lire cet intrigant et stimulant Lettre à un ami heureux aux enfers. Oublier les mensonges par le silence, les tromperies par les mots pour bâtir un avenir heureux. La vie ne serait-elle que du théâtre ?





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