Une épiphanie, Alexis Bardini, Gallimard, avril 2021, 93 p., 12€
À lire ces poèmes en dehors du contexte du recueil, j'ai d'abord cru à un soupçon de naïveté, dans un rythme doux et langoureux, à l'évocation de ces cailloux, fleurs, arbres, rosées, pétales et autres orages. D'habitude, j'ai le sang chaud et ce n'est pas trop mon trip la nature. Puis j'ai lu et relu ces vers libres qui parlent de corps amoureux et de sensations échappées sur les bords d'un fleuve, sur une plage de regrets, dans le ciel qui s'ouvre, pour tordre le bras à mes impressions pressées. Et j'y ai découvert une intimité effleurée, caressée par les mots et la répétition des sons chuchotés, d'une extrême rigueur, d'une parfaite douceur, toujours en retenue, sur un fil entre une émotion à exprimer et sa pudeur à bien le faire. Ou son impuissance même. On le sent, chaque vers est sculpté dans le cristal, suspendu à la fragilité du monde, à son rythme lent, à son caractère éphémère. Chaque poème s'inscrit dans une continuité de sens. Pêle-mêle reviennent des désirs cycliques, les bruits de la mer, les dilatations du temps, les sentiments qui rendent aveugles au monde, des séparations et des abandons, le sel et le souffle, l'inspiration au contact des éléments, l'absence et le deuil. Une poésie intuitive qui fait de la contemplation de la nature un moteur charnel, interrogeant aussi la matière même du poète, toute végétale, organique, les mots comme un diamant à polir sans cesse, de l'humus à triturer. Il naît alors un trouble lié peut-être à une révélation d'un autre ordre, celle d'une vie intérieure en quête d'une présence qui se refuse toujours à nous. Impuissance des mots à laisser des traces, capacité des vers à nous enfoncer dans la terre, physique, à nous alléger peut-être. C'est là me semble-t-il l'ambition de ce recueil, capter le corps d'une existence qui ne soit pas seulement spirituelle avec des mots qui nous trompent en permanence et dont l'auteur tour à tour se méfie, se joue et se libère. Pas dupe mais avec une pointe d'illusion quand même (le dernier vers est affirmatif-interrogatif). Des goûts, beaucoup de lumière, des odeurs, textes qui recherchent l'intensité des émotions, la légèreté d'un lent dévoilement, tout en contrastes et va-et-vient. J'ai été soufflé par l'exigence et la rigueur des assemblages (pardon, expression toute moche) qui s'effacent derrière cette sensation de flottement entre le monde des apparences et celui des présences pures. Très beau recueil, absolument cristallin, à la précision d'orfèvre, pour (re)trouver une langue perdue et conjurer l'absence ?
Trois poèmes, Hannah Sullivan (traduit par Patrick Hersant, édition bilingue), La Table Ronde, mars 2021, 164 p., 16€
Vie nouvelle, Michaël Trahan, Le Quartanier, février 2021, 208 p., 18€
C'est peu dire mais si vous suivez L'Espadon, vous savez qu'il n'est pas insensible aux éditions Le Quartanier. Catherine Lalonde notamment a eu le droit à nos louanges et le poète Michaël Trahan ne va pas en recevoir moins. Pourtant, je dois bien l'avouer, je n'ai pas compris grand chose à cette Vie nouvelle passé une vingtaine de pages et j'ai eu besoin d'aller lire le communiqué de presse pour trouver quelques repères : "une image pure, un rêve très idiot mais très beau. C'est un livre d'éducation sentimentale, écrit comme on choisit une vie." Ainsi y suis-je entré comme on pénètre à petits pas dans un théâtre avec ses acteurs, ses miroirs et ses images reflétées à l'infini pour surtout me laisser bercer pas la prose absolument splendide et limpide de Michaël Trahan. J'avais d'ailleurs lu avant La Raison des fleurs comme un chant, une mélopée agréable à l'oreille. Difficile de vous parler de la beauté de cette écriture qui parle aux sens de façon pure et détachée, comme si l'on était le spectateur de ses propres rêves. Le sentiment de honte, la vérité, des histoires d'automne et des récits d'hiver coulants, fluides, images du mouvement et d'un rythme qui dépasse les ruptures et les crises que l'existence, inévitablement, mettra sur notre chemin. La poésie alors comme une soupape, une rêverie qui multiplie les tableaux d'un songe. Ce texte est une respiration, un livre de lectures aussi avec moult références (Barthes, Flaubert, Dufourmantelle...) et un livre d'éducation sentimentale. Peut-être une langue enfleuvée par le calme, irriguée par les possibles d'une vie nouvelle que réfractent les miroirs de notre perception, bien sûr plurielle et comme suspendue à un temps hors du temps justement, parenthèse de nos désillusions cadencées : "Un rêve d'amour, un échec du coeur." Voilà, c'est ça, ce long poème de 200 pages est un rêve d'écriture, en quête d'images, sur les flots d'une histoire bleue. Une puissante et belle impuissance à écrire le poème d'amour. La musique et l'écho des mots au bout de la forêt, dans une clairière qu'encerclent nos paupières, des yeux qu'on ne veut pas ouvrir pour apprendre à vivre. Plutôt le rêve, oui, et l'évasion. Une musique sereine et envoûtante. En laissant la vérité atteindre au rêve, on lira la beauté des livres de Michaël Trahan, à défaut de pouvoir l'expliquer. Oui, ce livre relève de la magie, d'une apparition. De l'ordre de la grâce.
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