Accéder au contenu principal

Fièvre de cheval, Sylvain Chantal (Le Dilettante)

 L'histoire d'Anatole, consultant en quelque chose, qui atterrit un beau jour au bar PMU Le Platane à Nantes.  Il s'ennuie dans sa vie, Anatole, alors il boit beaucoup avec ses copains turfistes (enfin copains, façon de parler) et devient rapidement accro aux petites courses de chevaux qui peuplent ses après-midis sans fin de bucolique anonyme. Il en fait des rencontres : la patronne, sympa mais désenchantée car la clientèle a bien changé. Les Chinois rachètent tout. Et puis tous ces joueurs qui claquent leurs allocs dans des demis et l'espoir de gains rapides en sus de l'ivresse. On tape la discute et on espère le jackpot dans la cinquième à la borne des paris car le pari est une fête. Et allez comprendre, chance du débutant ou de cocu, le Anatole remporte une somme rondelette, 1200€. Coup d'essai, coup de maître, le voilà lancé tel un étalon sur la piste aux étoiles...de mer, car sa nouvelle addiction au jeu, à l'alcool, aux petits chevaux à la corde va le mener là où il ne savait pas, jusqu'à Pornichet, traqué par Franck et Redouane, deux truands à la petite semaine...


Une errance gonzo, verbale, sportive, mentale et comique sur les chapeaux de sabots, en bonne compagnie. Je préviens le lecteur, ce livre est très couillon et très drôle. J'avais repéré le précédent livre de Sylvain Chantal (Turco, Bouclard) sans l'acheter ou le lire mais le pitch me titillait. Pour Fièvre de cheval, j'ai foncé comme Ready Cash dans la troisième et bien m'en a pris. Pour qui veut lire et se frotter à l'exotisme des bar-tabac, à l'humus sous les jarrets ou rencontrer des turfistes anonymes, la mise n'est que de 15€. L'auteur, qui a travaillé à L'Equipe, s'immerge dans ce monde qu'il ne connaît pas et sort un roman parfait en quatre mois. On y croise une foule de bons clients plus vrais que nature, les habitués et les piliers de comptoirs, des patronnes de bars ou d'hôtels, beaucoup de canassons, de pouliches et d'étalons. Des malfrats, des jockeys et des truands aussi, qui ont repéré un champion de la combine. Je vous le donne en mille, Anatole Bétancourt ! Et le gus se prend au jeu car il est bon dans son domaine. Mais il a un gros défaut, il est impulsif... 

Dans les PMU, pas d'apparence à soigner, pas de maniérisme à adopter. Je m'y sentais bien, voilà tout, et j'avais retrouvé une place, celle que j'avais fini par abandonner dans la société : le comptoir.

Loser égaré, paumé de la vie et turfiste-apprenti, il écume les bars PMU, se met à jouer parier discuter truander et, de demis en discussions romantiques, il invente une combine infaillible qui attire les regards. Le voilà lancé dans la spirale de la dépendance et l'univers du galop, accro aux jeux et aux paris même s'il trotte plus qu'il ne galope. Il soliloque avec quelques obstacles, se mange quelques haies mais jubile quand il remporte la mise. Son instinct ne le trompe jamais, ou rarement, mais lorsque le grand Jacques Ricou sème le doute dans ses pronos, rien ne va plus... Sacré Anatole, couillon jusqu'au bout et donc parfaitement attachant, tout comme ce peuple de turfistes qu'on ne connaît pas mais qu'on imagine très bien dans les mots crottés et attelés. Le narrateur se moque gentiment et s'attache dans un double élan à ses convives de biture, et nous avec. On vibre, on rigole, des coups de sang, des coups de boules et des coups de reins, le pactole n'est pas loin, la tension monte. Et quand les petits mafieux volent les soiffards pour miser sur Dijon face au PSG, cagnotte de 7000€ garantie.

On nous avait séparés, Madjid voulant m'en coller une lui aussi. Et puis la rixe s'est arrêtée bien vite, car Alex et Jean-Christophe avaient pris ma défense. Jamais on ne devait se foutre de la gueule de quelqu'un qui venait de perdre des thunes. C'était une règle d'or dans le milieu turfiste (pas la première règle d'or, la première j'y viendrai tout à l'heure).

 Si l'immersion fonctionne totalement, c'est que l'auteur a su capter ces ambiances enfumées, pleines d'effluves électriques, où l'effervescence se nourrit autant de la tension liée aux paris qu'aux litres de houblon avalés puis renversés sur les tables en formica. Et que dire de tous ces noms de canassons aussi débiles que fendards : Lovely Chloé, Blanche Hermine, Diablo de Caponet, Fantasio, Diva du Granit et Derby du Dollar sans oublier Turbo (pas Stewball), le cheval très rentable... Des truands minables et des losers magnifiques, de grands moments où les phrases sombrent, il n'en faut pas plus pour nous passionner pour ces histoires de chevaux et ce "galop mental". Très comique certes. Les courses défilent sur Équidia, c'est la belle vie et on est peinard. Mais derrière l'écran, Sylvain Chantal nous fait entrer de plain-pied dans une sociologie étonnante, truculente, souvent ignorée. Si le public de l'hippodrome semble plus guindé, connaisseur et passionné par les courses, celui des bars révèle des chômeurs, des retraités, des alcooliques, des paumés, des gars marrants et des petites frappes qui se retrouvent entre potes ou habitués, avec toujours la même idée : boucler les fins de mois ou assurer l'avenir. Sylvain Chantal ne rend aucun hommage — en profite pour égratigner deux trois "personnalités" au passage — mais il replace ces anonymes au centre de la piste, miroirs à peine grossis de notre époque. On voyage donc même si ça n'est qu'au bar d'en face, devant nous et pourtant invisible. Lieu de sociabilité, creuset d'une certaine misère sociale et d'un certain désarroi aussi (8% de commission putain), le bar-PMU et ses habitués deviennent un formidable matériau littéraire sous la plume vive et hilarante de Sylvain Chantal, qui a préféré miser sur l'absurdité et la fantaisie du décor plutôt qu'en faire des tonnes sur le malheur des petites gens. Car si le terrain est lourd, la plume est aérienne. Pari réussi. Et ce final hilarant, expédié en deux pages. Une morale si vous misez : faites-vous confiance, toujours ! Bon, les bars rouvrent, je prendrai un Perrier-tranche, j'enchaîne avec un spot trio, quarté, flexi, multi, couplé, deux sur quatre, quinté, je perds la boule mais croyez-moi, j'ai un tuyau. Ready Cash, dans la cinquième, va piler tout le monde à Marcq-en-Baroeul, devant Bambino des Flots et Go Go Timoka... 

                                                                                                                                                                

Fièvre de cheval de trot, Sylvain Chantal, l'étalon au galop, Le Dilettante Fakir de La Roche, mai 2021, 156 pages contre 1 double-whisky, 15/1 €, 

Commentaires