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Un voisin trop discret, Iain Levison (trad. par Fanchita Gonzalez Battle, Liana Levi)

 L'Amérique fabrique ses héros de guerre en Irak, en Afghanistan et même au Vietnam à une époque. Bon, quand on gratte un peu le vernis, ces héros sont en fait des poivreaux, de piteux époux, des gays qui ne s'assument pas ou des repris de justice. L'Amérique de Iain Levison, c'est celle du petit épicier de quartier jovial mais hanté par ses faits de guerre, celle des médecins pas très compétents mais sympathiques, celle des immigrés qui tant bien que mal tentent de se faire une place au pays de l'Oncle Sam, de ses dollars et de son patriotisme spectaculaire. On croise ainsi un sniper de plus en plus bordeline au gré des missions, sa compagne Corina qui pense que c'est un gros con ou un sale type, Kyle Boggs l'ambitieux, à tel point qu'il se marie avec son amie de lycée pour préserver les apparences, ou encore le mystérieux Jim, un voisin trop discret, chauffeur Uber à ses heures perdues, insociable mais amoureux des liasses de billets verts. Et vous vous en doutez, tout ce petit monde va se retrouver quelque part en Amérique quand les secrets et les hasards auront mijoté leur petite cuisine...

Bon, désolé, mais je risque de ne pas faire dans l'originalité. C'est pas grave, ça fait toujours du bien de parler des livres qui font du bien. Je vais répéter ce qui s'écrit ailleurs, Un voisin trop discret fait partie de ces livres simplement divertissants et intelligents, sans prétention, empreints d'un cynisme rieur et même farceur. Pourquoi faudrait-il ménager ses personnages ? Iain Levision a toujours un bon mot à leur endroit quand ils s'y croient un peu trop, dévorés par une ambition démesurée qui confine à l'absurde, quand la campagne texane enfante des esprits étroits, quand les petites médiocrités du quotidien finissent par nous consumer à petits feux.

La dernière fois que Jim a dîné chez quelqu'un il y avait un président différent. Et la fois d'avant, encore un autre président. Jim a une moyenne d'un dîner par administration, et il trouve même que c'est excessif.

J'ai beaucoup aimé, pour ne pas le connaître, ce tableau d'une Amérique militaire, comme perdue dans une autre époque et qui enfante ses désoeuvrés et traumatisés de guerre (on boit donc beaucoup ici, de la bière surtout), à travers ses descriptions in situ en Afghanistan ou à la base, et ses effets collatéraux sur les survivants. La mort qui finit toujours par survenir y est absurde, privée de sens. C'est alors la fameuse intrigue qui prend le relais. Un raté sur le terrain, une réplique qui sonne faux, les sentiments s'emballent et la machine est lancée. Jusqu'à la dernière page, on goûtera les petits travers de la société américaine, les réflexions désabusées mais charmantes et ironiques sur une Amérique de début de millénaire mais de fin de siècle en réalité. Les gens de peu qui veulent s'en sortir, le quotidien où une protection sociale est l'obsession du citoyen lambda, une intrigue éclatée mais parfaitement maîtrisée, il n'en faut pas plus pour nous mener par le bout du nez des montagnes afghanes à Philadelphie en passant par les autoroutes dépeuplées de l'Etat de Washington. Et cette savoureuse galerie de personnages, parfait miroir de cette Amérique tiraillée entre son désir d'ascension et la seule question de la survie au quotidien. Une Amérique décrépite donc, où la règle vole en éclats au profit d'une narration de l'aléa. On rit, on s'attendrit — des coups de sang et de sentiments — on se moque gentiment à la faveur des nombreux rebondissements. Contrat parfaitement rempli pour ce voisin trop discret. Iain Levison, un auteur décidément très fiable.

                                                                                                                                                               

Un voisin trop discret, Iain Levison, (trad. par Fanchita Gonzalez Battle), Liana Lievi, mars 2021, 220 p., 19€

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