Par Jean-Marc Goglin
En 2010, T.
Snyder, Professeur d’histoire de l’Europe centrale et orientale à l’université
de Yale (Etats-Unis), propose une étude innovante sur l’histoire de l’Europe
centrale et orientale entre 1933 et 1945. Cette recherche, d’abord traduite en
français et publiée par les éditions Gallimard en 2012, vient d’être rééditée
en « format de poche ».
T. Snyder fait
œuvre de pédagogue. Il rappelle que la Première Guerre mondiale a fait éclater
les grands empires européens et a donné naissance à de nouveaux États, la
Pologne, l’Ukraine, la Biélorussie et les États baltes qui forment une
« zone tampon » entre l’Allemagne et la Russie. La construction des États totalitaires en Allemagne et en Russie s’accompagne d’une remise en cause
de la légitimité et de l’existence de ces États. Staline et Hitler, arrivés au
pouvoir, mettent en œuvre des projets coloniaux. Ils entendent s’approprier,
réorganiser ces territoires pensés comme des réserves de terres.
T. Snyder
distingue plusieurs étapes. Tout d’abord, en 1933, Staline, soucieux d’imposer
la collectivisation, fait déporter et affamer les paysans ukrainiens puis
impose la Grande Terreur. Sa stratégie cause 4 millions de morts. Hitler
ambitionne d’éradiquer les Juifs et de détruire les États polonais et
soviétiques. Il souhaite créer un grand empire étendu vers l’Est dont les
terres, dépeuplées de ses habitants, nourrira la nation allemande. Mais, en
1939, Staline et Hitler s’accordent sur le partage de la Pologne. Chacun est
néanmoins persuadé qu’une guerre entre leurs pays respectifs est inévitable. En
septembre 1939, l’Allemagne et l’URSS se partagent la Pologne et se lancent dans
une politique de tueries de masse : massacres, politiques de famine,
déportations… En Juin 1941, l’Allemagne brise son alliance avec l’URSS et se
lance dans une opération d’invasion qui sera un échec. Allemands et Soviétiques
se disputent surtout Ukraine et Biélorussie. T. Snyder resitue la
« Solution finale » nazie dans ce contexte. Les échecs militaires
allemands précipitent la volonté d’exterminer de manière immédiate tous les
Juifs d’Europe. La plupart peuplent l’Europe centrale et orientale. Les sites
de tueries se multiplient : ghettos, camps de concentration, centres de mise à mort... Les Allemands éliminèrent 5,4 millions de Juifs. Ils
éliminèrent presque autant de non-Juifs. La fin de la Seconde Guerre mondiale
met fin aux tueries de masse. Mais le bilan humain est effroyable. Chacun suivant son idéologie binaire et exterminatrice, Staline et Hitler ont
transformé le cœur de l’Europe en un ensemble de « terres de sang »
marquées par la mort de 14 millions de personnes, principalement des femmes,
des enfants et des vieillards. La moitié des victimes est morte de faim.
T.
Snyder livre une étude forte, nourrie de nombreuses archives, et une réflexion
passionnante sur le lien entre histoire et mémoire. Il refuse de rejeter les
nazis et les soviétiques « hors du champ de l’intérêt humain » (p.
647) et d’abandonner la recherche historique. Il invite à réfléchir sur les
justifications données aux massacres et à rejeter toute absolution. Il rappelle
que les chiffres sont des individus, membres de familles, morts à la suite de
choix politiques effroyables. Un livre à lire et à méditer.
Timothy
Snyder, Terres de sang. L’Europe entre Hitler et Staline, Paris, Folio
histoire, Gallimard, 2018 rééd., 844 p.
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