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L'ombre de son nom, Jean-Baptiste Labrune (Magnani) ★★★☆☆

  Premier roman signé Jean-Baptiste Labrune, L'Ombre de son nom est aussi le premier roman de son éditeur, Magnani. Un excellent éditeur de livres illustrés et BD que l'on connaît bien à L'Espadon pour avoir déjà chroniqué certains albums. Allez voir du côté de Marion Fayolle et Simon Roussin si le cœur vous en dit, la fine fleur du 9e art actuellement (Les Aventuriers, Les Amours supendues).
Mais revenons donc à ce roman et son programme inépuisable, ambitieux. Un livre sur les voix qui nous traversent, les démons qui nous hantent. L'image de la mort à Paris à des époques différentes. Pendant la semaine sanglante de la Commune, en 1871, pendant les émeutes de 2005 en banlieue, échos diffus d'une violence qui traverse les générations. A l'image d'André Fauré, mort en 2005. Difficile de résumer ou raconter cette histoire. Tout est jeu d'échos, de correspondances, de va-et-vient. Qui commence par le décès d'un père dans des circonstances troubles. Un vrai brouillard où s'emmêlent des ombres, des visions, des rêves et des personnes, les repères d'un monde à l'équilibre précaire. Des personnes donc, comme cette fille, Laure, en avance. Ragheb aussi, cet employé de pompes funèbres, marbrier de son état, toujours trop saoul et finalement quitté par Déborah, laissant son petit bébé... Tous errent dans un Paris à peine fantasmé, des catacombes aux cimetières en passant par les appartements haussmanniens (?), sans oublier la majestueuse Notre-Dame qui, un temps, revit sous nos yeux comme un songe à travers un Quasimodo roux. Hasard et magie des événements, jamais vraiment situables entre réalité et fiction, mensonges et vérité.





C'est là tout l'enjeu de L'ombre de son nom qui est un récit-mosaïque, une histoire racontée par fragments, où les détails s'accumulent, précisant avec lenteur les circonstances d'une mort, d'une disparition, d'une absence. Mieux vaut alors éviter une lecture discontinue sous peine d'être perdu, à la fois le charme et la limite de ce premier roman. Avouons-le, nous nous sommes parfois égarés dans les ruelles de la Commune ou dans les carnets avant de raccrocher au destin de Ragheb, Marc et Laure, ombres fuyantes mais bien vivantes. Faut-il laisser les morts en paix ? Voilà une possible interprétation de ce roman à la frontière du rêve et de la réalité entre Histoire, trajectoires familiales et folies rampantes, à la lisière aussi du fantastique vers la fin. Le récit d'une vérité impossible à regarder en face où il est question de voix et d'ombres, de leur contagion comme miroirs de nos angoisses et de nos folies. Les présents disparaissent et les absents acquièrent une réalité faite de chair et de mots. L'ombre de son nom parle alors des doubles que l'on s'invente pour survivre, comme dans le récent Dans la forêt du hameau de Hardt ; des images nécessaires à l'impossibilité du deuil. Le manque et l'absence des êtres aimés comme une souffrance invivable.
Tout ici est immobile, ridicule, pétrifié... La vanité du cadavre qui s'imagine éternellement regretté, ça ne raconte jamais rien d'autre. Les vraies histoires ne se figent jamais.

  La vérité prend les atours de la folie et cerne des territoires en suspension, indéterminés, comme on se réveille sans savoir où l'on se trouve. Une écriture en mille-feuille, par monologues, apte à saisir toutes les errances et tous les troubles. Car, successivement, le roman alterne tranches d'Histoire, récit de famille à la première personne, enregistrements sonores, notes dans des carnets rouge et noir, carnet intime. Au lecteur d'assembler le puzzle, de s'extraire des catacombes, image d'un labyrinthe de miroirs et de projections. Et l'on chemine aux côtés des personnages qui luttent avec leur visions, leurs fantômes, leur passé. L'ivresse du désespoir le disputant à une étrange et merveilleuse tristesse. La parole des morts résonne alors étrangement à nos oreilles, avec une réelle acuité qui fait tout le charme de ce bouquin. Et toujours ces ombres, ce soupçon d'effondrement. Un monde vu, si l'on peut dire, avec un regard d'outre-tombe. Tout cela est-il bien réel ? Qui se ment, qui nous ment ? Car, au juste, on ne sait pas si le livre parle d'un zombie, d'un gars qui dort et rêve, d'un alcoolo perdu dans ses effluves... Au fond, dans L'ombre de son nom peut se lire comme une histoire de fantômes, nés des brumes de la détresse. Précisons : nos névroses sont insolubles et le passé agit encore au présent. Invisible. Des fantômes bien réels dans nos têtes mais impalpables pour les autres. Des forces invisibles enracinées dans les mots et notre relation aux autres. La folie alors pour nommer ce qui nous échappe, ce qu'on ne comprend pas, pour parer à tous les effondrements, supporter toutes les errances.

Écrire... Je me suis lancé, Dieu sait pourquoi, et j'ai divagué dans mon propre brouillard, sans cap. Aujourd'hui, je me relis, et cela ressemble à une blague. Sans queue ni tête. Un rêve brumeux, où j'ai cherché des signes. Mais je m'éveille enfin. Le jeu s'achève. FAURÉ LAURE. Un titre par hasard, un nom creux que j'ai voulu remplir, un personnage sans chair (...).

  Belle variation des points de vue, là pour nous perdre et nous immerger dans l'âme de ces morts-vivants. Bel effort de composition même si, reconnaissons-le, certains passages nous paraissent abscons ou forcés, avec un côté fourre-tout. Jusque dans l'aspect formel du livre : taille de la police qui varie, écriture comme un poème, vides des pages, tranche orangée comme les vieux livres de poche, couverture d'une blanche épure, autant d'éléments élégants qui ne font pas toujours sens à nos yeux. Du coup, il faudra aller au bout du rêve pour percer le mystère sans l'épuiser. Touchant de voir un auteur se battre avec son sujet jusqu'à la dernière page, refusant toute facilité. Dernière phrase, Marc savait. Et tout s'éclaire pour mieux s'assombrir. Bel effort, belle folie devrait-on dire.
                                                                                                                           
L'ombre de son nom, Jean-Baptiste Labrune, Magnani, janvier 2019, 264 pages, 22€


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