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Le bonheur est au fond du couloir à gauche, J.M. Erre (Buchet Chastel)

 Et si le bonheur consistait à se trouver un ennemi à détester ? Le meurtre comme voie privilégiée vers le bonheur ? Hébétude ou béatitude ? Antidépresseurs ou anxiolytiques ? Mais peut-être le bonheur rend-il malheureux ? Ce serait fâcheux, vous en conviendrez. Michel H. s'implique avec zèle dans l'activité de ramassage des tessons. Il pense à la planète, au recyclage. Il veut aussi récupérer Bérénice et adopter un mode de vie sain. Bye bye le gluten, adieu le lactose ! Mais le voisin, M. Patusse (ça sonne comme suisse), est très à cheval sur les règles... Michel, raté dépressif, lit la presse de gauche et de droite, affronte donc son terrible voisin le vigilant et va même jusqu'à payer un Grand Maître sur le web. Mais trouvera-t-il la recette du bonheur pour faire revenir Bérénice ?

Alors que le dernier roman de Fabcaro m'avait bien déçu, avec sa mélancolie et son désenchantement souvent drôles mais lourdauds, celui de J.M. Erre m'a convaincu de bout en bout même si l'on chasse sur les mêmes terres humoristiques de l'absurdité existentielle. Que voulez-vous, c'est un ton, une façon d'amener de petites réflexions idiotes mais toujours sensées, des raisonnements par l'absurde absolument convaincants, des syllogismes loufoques. Le développement personnel ne s'en remettra pas ! J.M. Erre ne relâche jamais la tension du côté des psys, des philosophes qui s'écharpent, s'interroge sur le suicide comme solution pour ne pas se rater, pointe l'aberration des novlangues, les incohérences de la quête de bonheur (qui est en fait nager dans le malheur pour mieux le trouver) et nous fait hurler de rire plus d'une fois en dézinguant tout le monde, toutes les idéologies, toutes les bêtises, toutes les petites certitudes d'une routine effrayante de neurasthénie, dopée au Lexomil et au Xanax. Comment reconquérir la petite Bérénice ? 

Ces lectures de penseurs officiellement en quête de sagesse, mais en réalité vindicatifs en diable, m'ont conduit à une réflexion : et si le bonheur consistait à se trouver un ennemi à détester ?Une personne honnie qu'on pourrait passer une vie entière à blâmer, à accabler, à insulter ? La félicité par la haine farouche ? A tester.

L'intrigue tient à un fil invisible et le rythme ou le découpage empruntent largement à l'énergie de la BD. On lit donc moins une histoire qu'une série de réflexions-gags sur une modernité toute houellebecquienne. Et c'est franchement drôle, souvent bien vu quitte à s'exposer à quelques répétitions. Oui, ça tourne parfois en rond mais tout respire la tendre lucidité avec un carcan de pointes acides, dans grand élan de fraîcheur, d'inventivité et d'humour noir. On peut lui reprocher, comme à Fabcaro d'ailleurs, l'humour pour l'humour, le rire comme finalité. Mais si rire il y a ici, il ne va pas sans un regard désabusé et empreint d'une forme de clairvoyance, il faut bien le reconnaître, sur le monde tel qu'il va et les errances des sociétés postmodernes. Allez savoir pourquoi, même s'ils sont très proches dans le fond et la forme, les romans des deux auteurs ne me laissent finalement pas la même impression. 

Jolie mécanique en mode TNT, à prendre pour ce que c'est : un très bon moment de détente à savourer par petites tranches, le rire pour étendard, la seule façon de sauver un monde désespérant qui se prend, parfois, un peu trop au sérieux... La dépression en chanson ? Chômage et voisinage ? Désespéré mais festif et donc parfaitement drôle !

                                                                                                                                                              

Le bonheur est au fond du couloir à gauche, J.M. Erre, Buchet Chastel, janvier 2021, 183 p., 15€

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