Jolie couverture kitsch-pop qui rappelle à sa façon le souvenir doux-amer d'une Beat Generation disparue. Après La Fabrique des salauds, l'auteur revient avec la chronique new-yorkaise d'un jeune étudiant allemand en cinéma, qui doit réaliser un film sur le sexe mais surtout pas un film à la con sur les nazis. Jonas, envoyé en éclaireur par son professeur pour préparer l'arrivée des autres étudiants, se retrouve balancé dans la jungle urbaine de la grande pomme. Il croise des beatniks, des artistes, des homos, des junkies, des criminels, des réalisateurs, sa Tante Paula rescapée de la Shoah et son grand-père Apapa qui hante sa mémoire avec des Sturmbannführer et des chambres à gaz en Lettonie... Mah, la compagne de Jonas restée en Allemagne, psychote sur la fidélité de son petit copain. Jonas, malgré sa jeunesse, va bientôt mourir. Une grosse cicatrice au front rappelle au monde son accident de moto et sa vie en sursis...
Un livre qui séduit d'abord par son humour toujours bien placé, bien dosé, quelque part entre l'absurdité existentielle et l'amertume d'un monde qu'on sait vouer aux fissures et aux cicatrices, sensibles et historiques, qui brosse le portrait d'une jeunesse paumée. Il faut aussi aimer cette galerie de gens déglingués ou doucement névrosés, au choix. Jonas, bien sûr, le personnage principal, sa copine asiatique Mah, restée en Allemagne et Nele, la copine allemande-américaine gentiment perchée. Les filles d'hiver et d'été, la psychose de l'infidélité, les obsessions d'une famille passée par les camps, une tante qui cache bien son jeu et offre 100 000 dollars pour une virée dans l'Ouest, un film sur les oreilles et leurs lobes, sans oublier l'autre grand personnage marquant, Jérémiah, star déchue gros comme un hippopotame, qui vit dans un taudis et la mélancolie de la Beat Generation qu'il a côtoyée de près, jusqu'à recueillir la signature de Burroughs himself. Il parle aussi d'Allen Ginsberg mais il a pu tout aussi bien fantasmer toutes ces rencontres... Personnage très réussi, opaque et symptomatique d'une identité à l'américaine. Un livre dans les bas-fonds de New-York, son versant obscur et sa part clinquante. On ne s'ennuie que rarement même s'il faut bien le dire, on regrettera un certain nombre de passages bavards qui ressassent un peu les mêmes anecdotes.
Ne pense pas trop à l'avenir, me dit toujours Mah. Crois-moi, mon chéri, on en fait beaucoup trop avec l'avenir. Tes déprimes, tes visions apocalyptiques, ta misanthropie font ta force — c'est comme les angoisses : une fois sous contrôle, elles sont une chance unique. Je suis fière d'avoir un petit ami comme toi, qui n'a pas peur de s'engager, légèrement névrosé, à tendance hyperkarmique, convaincu que le châtiment l'emporte toujours sur le crime.
Pensé sous la forme d'un carnet personnel un tantinet bordélique et baroque, voire halluciné, recueilli par la fille de Jonas (mais pourquoi ?), Baiser ou faire des films intéresse surtout par son humour cocasse, son sens de la réplique qui claque et sa vision douce-amère de l'existence où, on le comprend rapidement, le rire est une façon de ne pas sombrer dans les secrets, vite sources de désespoir. Allez, on n'est pas plus émus que cela à la fin de l'histoire et l'on aura sûrement vite oublié ce roman. Mais on a passé un bon moment, ce qui est déjà pas mal.
Baiser ou faire des films, Chris Kraus, Belfond, janvier 2021, 330 p., 22,50€
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