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La Disparition du paysage, Jean-Philippe Toussaint (éditions de Minuit)

 Je ne sais pas si Jean-Philippe Toussaint est un grand écrivain mais, que voulez-vous, j'y reviens de temps à autre, appâté par un titre ou une vague promesse de repos. Car l'écriture du monsieur me berce et m'apaise et si je n'éprouve jamais le grand vertige du dépaysement, je m'y sens plutôt bien dans ses livres. Tandis que Les Emotions attend sagement dans ma bibliothèque, je m'attaque entre deux romans à ce court texte de 40 pages qui devait être joué au théâtre des Bouffes du Nord le 12 janvier 2021 (reporté à novembre) par Denis Podalydès. La Disparition du paysage est la construction d'un univers mental et son lent effacement depuis un point aveugle, ce traumatisme que le narrateur a oublié, disparu dans les limbes de sa conscience. Vous savez, comme ces rêves très prégnants au réveil mais dont on a tout oublié. Ils sont là mais plus là. Le discours alors comme une caisse de résonance du choc physique. 


Le narrateur tente de rassembler les pièces du puzzle depuis le choc, l'accident, le drame. Il vit dans un appartement à Ostende, avec vue sur la plage. Dans la première partie du texte, il décrit le paysage comme s'il était impossible de lui appartenir. C'est que le narrateur, on le devine, est comme mort à l'intérieur. Le temps qui s'écoule est celui d'une convalescence et d'une amnésie partielle. Le paysage alors comme baromètre du changement, avec inversion du regard. Ce n'est pas le malade qui voit l'horizon mais c'est le paysage qui le regarde se transformer. Et à travers l'évolution par petites touches de cette plage belge, c'est le personnage qui change, qui s'éveille à une forme d'inconscience, à sa propre inconscience et à sa propre disparition dans le va-et-vient des souvenirs physiques et du présent immobile. Quand le choc refait surface, la conscience s'éteint. Mais peut-être a-t-elle toujours été éteinte ?

Je ne sais pas. Je n'ai pas mal, pas de souffrance physique, mais un étonnement — un étonnement inébranlable. Je ne me souviens plus très bien de moi, de qui je suis, de qui j'étais plutôt. 

Il faut attendre les dernières lignes pour comprendre ce qui s'est joué entre le corps et l'âme, le regard et le paysage. Car le paysage, qui n'est qu'apparence ou représentation — les géographes le savent bien — n'existe qu'à travers le regard d'un spectateur (des objets perçus par un sujet) avec ses propres filtres et humeurs. Le paysage décrit ici, une plage bercée par la brume et le brouillard d'où surgit un casino, n'est peut-être qu'un paysage d'âme, c'est-à-dire un paysage inventé en vue d'exprimer des sentiments. Piégé et emmuré dans son appartement, sa conscience ou son corps, le narrateur évoque cette étendue pour mieux évoquer sa claustration, psychique et/ou physique.

Ma foi, un texte fort intéressant qui se joue des niveaux de réalité en peu de mots et avec un réel toucher, attentif aux objets, aux sensations et finalement à un pan de ce début de XXIe siècle. Un beau titre. La disparition du paysage, c'est l'effacement de la conscience. Je ne vous en dis pas plus.

                                                                                                                                                             

La Disparition du paysage, Jean-Philippe Toussaint, janvier 2021, éditions de Minuit, 47p., 6,80€

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